Interview réalisé par Isabelle Bratschi pour Payot libraire. Discussion avec Naomi Annen, libraire à Payot Fribourg. À retrouver dans la revue n°37 - novembre-décembre 2024. Lire l'article ici : https://aimerlire.payot.ch/AimerLire_37_interactif/
Naomi Annen est une rebelle. Ou peut-être l’a-t-elle été. Adolescente, la jeune femme a cherché des voies, des pistes pour construire sa vie. Impasses. Jusqu’au jour où elle découvre l’œuvre de Terry Pratchett, l’écrivain britannique au chapeau noir. S’offre alors à elle un univers peuplé d’elfes, de mages, de coffres serial killers, de princesses et de sorcières égarées dans des villes tentaculaires. Les portes s’ouvrent sur le fantastique « Disque-monde » posé sur quatre éléphants, lesquels sont soutenus par une tortue géante nommée A’Tuin. « C’était lors d’une invitation chez des amis de ma mère, se souvient Naomi Annen. Je devais avoir treize ou quatorze ans. J’étais en pleine crise d’adolescence et tout me semblait ennuyeux. J’étais seule dans mon coin, quand l’hôte de la soirée me prend par la main et m’emmène dans la bibliothèque. Il choisit un livre, Mortimer, de Terry Pratchett, et me le donne. » Intriguée par la couverture sur laquelle figure la mort sur son blanc destrier, elle commence à lire. « Je ne me suis pas arrêtée. Le lendemain, j’allais acheter la suite chez Payot, j’ai dévoré "Les annales du Disque-monde ", soit trente-cinq volumes, en un temps record. »
Le maître de la fantasy humoristique
Sir Terence David John Pratchett, dit Terry Pratchett (1948-2015), est l’auteur de plus de cinquante romans, traduits en trente-huit langues. Une œuvre immense vendue à plus de quatre-vingt-cinq millions d’exemplaires. « Tous les albums des " Annales du Disque-monde " peuvent être lus séparément, à l’exception des deux premiers tomes qui se suivent », précise Naomi Annen. L’auteur britannique, grand amateur d’astronomie, collectionneur de cartes astrales et féru de plantes carnivores, aime détourner les codes de la fantasy. Il livre alors une satire de notre société avec un délicieux humour à l’anglaise. « C’est drôle, déjanté, décalé avec une écriture ultra-imagée, souligne Naomi Annen. Ses elfes ne ressemblent pas à ceux de Tolkien, ils n’ont rien de gentil. Ses mages, stupides et prétentieux, font des expériences susceptibles de détruire le monde. Les dieux ne servent à rien, ils jouent avec le destin et boivent du vin dans leur palais en haut d’une montagne. Terry Pratchett a une imagination débordante. »
Bergman et la mort
Omniprésente, la mort hante les romans de Terry Pratchett. « Elle revient dans tous ses livres sans exception, que ce soit un chapitre, un paragraphe ou une phrase, reprend Naomi Annen. La mort est au masculin et elle parle en majuscules. En référence au Septième sceau, de Bergman, elle en a marre de jouer aux échecs avec les êtres condamnés. De plus, elle ne sait pas comment bouger le cavalier. » Naomi Annen rigole. On sent qu’elle aime ce monde, cet humour. « Les romans de Terry Pratchett me font rire et voyager. Je les connais par cœur. C’est une lecture qui me fait du bien. »
Trois livres trois univers
La huitième couleur
Dans ce premier tome, Terry Pratchett prend soin de décrire minutieusement le Disque-monde. Pour cela, on suit un touriste appelé Deuxfleurs qui débarque dans la ville tentaculaire d’Ankh-Morpork. Il est escorté par un étrange bagage qui se déplace sur des centaines de petites jambes. Il s’agit d’un coffre de bois magique contenant des pièces d’or et qui s’avère très vite être un serial killer. Le touriste rencontre Rincevent, un mage raté, et ensemble ils feront le tour du continent. On découvre alors un univers fantastique et cocasse sous la plume de Terry Pratchett, le roi de la parodie et de l’absurde.
Mortimer
Du haut de ses deux mètres dix, la mort se sent seule et s’ennuie dans sa maison de campagne avec son serviteur, Albert, et son cheval nommé Bigadin. Elle aimerait prendre des vacances. Elle choisit alors Mortimer, un adolescent maladroit, pour la remplacer comme apprenti. L’adolescent tombe amoureux d’une princesse qu’il doit transporter dans l’au-delà, mais il refuse. Il va transgresser les règles de la vie et de la mort et détruire les tissus de la réalité. Pendant ce temps, la mort pêche à la mouche et ne se doute de rien. » Il se dit que, dans l’œuvre de Terry Pratchett, la mort est un mâle, un mal nécessaire.
Au guet !
Au guet ! est le huitième tome des « Annales du Disque-monde », dont l’ensemble est traduit par Patrick Couton qui recevra en 1998 le Grand Prix de l’Imaginaire. Le personnage principal, Samuel Vimaire, se présente sous les traits d’un alcoolique désabusé. Il est engagé pour protéger la cité d’Ankh-Morpork, mais celle-ci est tombée aux mains d’un fou. Les crimes sont devenus légaux et lui, en tant que policier, n’a plus de boulot. Au guet de nuit il rencontrera Carotte, un jeune homme qui amènera un vent de fraîcheur dans ce monde de brutes.