Il en est des grands romans de SF comme de la vie. Leur capacité à nous
émouvoir est souvent dans les petites choses. Les détails qui paraîssent
insignifiants mais ne le sont pas.
On pourrait presque dire qu’avec ce Frère Ewen (L’Atalante, coll. La Dentelle du Cygne), premier volume de la tétralogie annoncée de La fraternité du Panca, Pierre Bordage a pris le juste parti de ne point trop en faire, de ne jamais tirer sur la corde des émotions inutiles.
Deux personnages centraux destinés à se rencontrer, deux destins en
apparence brisés par la vie et les engagements qu’Ewen et Olméo ont un
jour pris ou que l’existence leur a imposé : Ewen est membre d’une
Fraternité religieuse secrête, Olméo est le cadet de la famille dans une
organisation sociétale de petites communautés rigides et quasi
autarciques. Mais point de désespoir ici, il ne s’agira jamais de se
lamenter sur son sort. Ou si peu.
Si chemin de croix il y a, Ewen et Olméo le parcourent sous la
pression des événements, mais aussi poussés par une voie morale évidente
qui leur est propre. Ils ont leur libre arbitre et s’engagent en toute
conscience sur une route qui, pour douloureuse qu’elle soit, est aussi
celle de leur accomplissement personnel.
Modèle de space opera, doublé de plusieurs planet operas successifs
qui s’agglomèrent les uns aux autres à l’image des couches sédimentaires
en géologie, Pierre Bordage a créé avec grand talent une lente épopée en forme d’odyssée quasi immobile.
Certes, tout le roman n’est pourtant qu’un double et long voyage.
Celui d’un homme dans la force de l’âge et celui d’un enfant de douze
ans. Tous les deux doivent quitter la planète sur laquelle ils ont
construit une partie de leur vie, sans aucun espoir de retour.
Après de nombreuses péripéties, ils vont enfin se croiser et faire plus que se rencontrer. Tout dans ce Frère Ewen est dans la fusion des âmes.
En permettant les voyages interplanètaires au long cours sans user
de notions sans fondements scientifiques, tels les éternels classiques
de l’hyperespace, Pierre Bordage a également saisi au vol l’opportunité d’explorer une piste narrative passionnante et réellement inventive.
La galerie des personnages, le regard tendre et compréhensif que
pose l’écrivain sur ses créatures, son habileté à générer une grande et
touchante empathie avec elles, tout ces éléments suffisent largement à
emporter le morceau haut la main.
Est-ce à ce jour le roman le plus structuré de Pierre Bordage ?
On le pense très fort. C’est en tout cas celui où nous retrouvons tous
les thèmes régulièrement abordés par l’écrivain : sa capacité à nous
émouvoir avec de grands et beaux sentiments, sa générosité teinté d’un
humanisme respectueux envers l’autre ainsi qu’un imaginaire SF digne des
plus grands.
Stéphane Pons - Yozone