En 2021, la publication en français de Nuit bleue de Simone Buchholz représentait une petite révolution. Voilà un polar qui, non content d’offrir une intrigue bien construite et des personnages complexes, se permettait en parallèle de jouer avec la langue, de déconstruire la fiction, bref de travailler sur l’énonciation même du récit.
Bribes de poème, apartés, rythmes syncopés, logique bousculée, Rue Mexico s’inscrit dans la même veine. Bien que l’effet de surprise soit un peu émoussé, il s’agit à l’évidence d’un excellent roman, lauréat du Prix du polar allemand 2019, qui revisite à travers le monde des gangs la tragédie de Roméo et Juliette. Une fois encore, la procureure Chastity Riley – elle apparaît dans une dizaine de romans, dont seuls deux sont traduits en français – joue les enquêtrices de choc avec lucidité et persévérance. Cette femme cabossée par la vie et les excès est secondée par le ténébreux et charismatique Ivo Stepanovic. A ces deux-là s’ajoute une foule d’autres protagonistes parmi lesquels l’architecture et la ville. En l’occurrence Hambourg, où Simone Buchholz (née en 1972) vit depuis de nombreuses années, et Brême qui n’a rien à lui envier en matière de violence et de criminalité.
Le puissant clan Saroukhan
Tandis que des voitures brûlent aux quatre coins du globe – une explosion de colère qui revient comme un leitmotiv tout au long du roman – l’un de ces incendies tourne au drame. A Hambourg, une voiture incendiée se transforme en cercueil. Le mort s’appelle Nouri Saroukhan, il est l’un des fils d’un clan de puissants trafiquants installés à Brême. Il semblait avoir pris ses distances avec sa famille, qui l’avait d’ailleurs renié. Pour garantir son indépendance, il avait interrompu ses études de droit pour travailler dans une compagnie d’assurances. Il songeait à quitter l’Allemagne pour s’installer au Mexique.
Arrivés en hâte sur le lieu du crime, car s’en est un, Chastity et Ivo aperçoivent une rousse flamboyante qui observe la scène depuis le toit d’un parking. Ils tentent de l’intercepter, en vain. Il leur faudra bien du temps pour découvrir que cette femme mystérieuse n’est autre que le grand amour interdit de Nouri Saroukhan. Aliza Anteli a grandi à Brême. Elle appartient elle aussi à une famille de gangsters où les filles sont offertes ou vendues par leurs frères comme une simple marchandise. Pour les deux amoureux, comme chez Shakespeare, l’histoire finit mal. Mais cela, bien sûr, on le sait dès le départ. L’identité de l’assassin, en revanche, reste une surprise et d’une certaine façon confirme, comme le dit un personnage, « qu’en Allemagne, ce n’est pas la drogue et le trafic de voitures qui vous enrichissent, mais Volkswagen ».