Il y a malheureusement peu d’auteurs allemands publiés en France, comparés à la profusion d’écrivains nordiques qui continuent d’inonder les étals des libraires.
Heureusement certains éditeurs s’efforcent de sortir des sentiers battus et d’ouvrir l’horizon vers l’est de l’Europe. C’est le cas des éditions L’Atalante qui ont lancé leur collection Fusion sous la houlette de Caroline de Benedetti et Emeric Cloche.
C’est grâce à eux que les lecteurs français ont pu découvrir Simone Buchholz et son personnage hors du commun Chastity Riley, procureur de son état, et son collègue et complice Ivo Stepanovic.
Découverte avec le sombre et poétique Nuit bleue, elle nous était revenue avec son étrange et très réussi Béton rouge, qui confirmait à celui qui avait eu la chance de lire ces deux romans que Simone Buchholz était aussi atypique que ses personnages.
Sans doute également que la qualité de la traduction de ses textes, signée Claudine Layre, y est aussi pour quelque chose dans la perception presque palpable de cette atmosphère si particulière que le lecteur peut ressentir au fil des pages.
Autant dire que rejoindre Chastity Riley pour sa troisième aventure, Rue Mexico était attendu avec grande impatience, et ma foi cela en valait la peine.
À Hambourg comme ailleurs, les voitures illuminent la nuit de l’incandescence des flammes qui les consument.
À Hambourg comme ailleurs, il arrive parfois que l’on retrouve dans la carcasse d’un véhicule carbonisé le corps d’un homme sans vie.
C’est pour cette raison que ce soir-là , Chastity Riley est appelée dans un quartier de Hambourg.
Le cadavre d’un jeune vient d’être découvert dans le coffre d’une fiat Punto par les pompiers arrivés pour éteindre l’incendie.
Pour la procureur et pour son collègue Ivo Stepanovic c’est le début d’une nouvelle enquête.
Très vite la victime est identifiée. Il s’agit de Nouri Saroukhan.
Le nom de Saroukhane n’est pas inconnu des forces de police et de la justice allemande. C’est celui d’un puissant clan mafieux de Brême.
Nouri est le fils d’un des leaders de cette famille issue des Mahallami, communauté dont les racines remontent à l’Empire turc.
Tout laisserait donc à penser à un énième règlement de compte entre trafiquants.
Pour la procureur Chastity, direction Brême pour se frotter à ce clan et essayer de comprendre le parcours et la fin tragique de ce jeune homme.
Mes ses investigations vont raconter une histoire bien différente, très loin des guerres fratricides que peuvent parfois se livrer des mafieux en concurrence, et dont la mort brutale est souvent une fin écrite à l’avance.
Il s’avère en effet que Nourri avait pris ses distances avec les siens, ou plutôt qu’il avait été banni pour avoir souhaité s’émanciper de la tutelle de celui-ci et vouloir vivre sa vie comme il l’entendait, refusant les carcans d’une communauté où l’individu s’efface devant le clan.
C’est ainsi qu’il avait trouvé un travail dans les assurances. Mais là aussi les choses ne se sont passées comme prévu. Autre univers, autres codes, le fric à tout prix, la dope à plein nez, la morale dissoute à l’encre des billets de banque.
C’est d’un ailleurs dont rêvait Nouri. Et il n’était pas le seul.
Car peu à peu son histoire semble se conjuguer avec celle d’une jeune fille de son âge, Aliza.
Elle aussi est issue d’un clan, les Anteli, ennemi du premier, également corsetée dans ses principes et ses traditions culturelles, où la femme n’a pas droit au chapitre et représente parfois une valeur marchande.
Comme Nouri, elle avait décidé de s’affranchir du poids familial et de cet avenir sans horizon qui lui était promis.
Mais à quel prix les deux jeunes allaient-il payer leur liberté ?
Entendons-nous bien. Rue Mexico n’a rien d’un roman à l’eau de rose. Il passe l’histoire d’un amour impossible à la brosse en fer d’une réalité bien loin des contes de fées, où la violence sert d’écrin à une vie étouffée et à la promesse misérable.
À travers ce drame, où certains verront une version moderne et revisitée de Roméo et Juliette, l’auteur aborde la question de l’intégration de populations issues de communautés dont il est souvent difficile de s’extraire et de s’émanciper.
Mais à en sortir encore faut-il échapper à une autre forme de domination tout aussi brutale. En la matière la violence des cols blancs n’a vraiment rien à envier à celle des quartiers ou des clans mafieux.
C’est ce que décrit au vitriol Simone Buchholz avec ce style singulier qui lui est propre, caractérisé par des chapitres courts, une sobriété dans le texte, où tombe le mot juste, et qui met à nu et sans effet les plaies de nos sociétés.
On trouvera ce roman sans doute plus touchant que les précédents, tant le personnage de ces deux jeunes suscite l’empathie, en particulier celui d’Aliza , fille au caractère affirmée qui se bat la rage aux dents.
Dans ce conte moderne et sombre, on retrouvera aussi avec plaisir Chastity Riley, forte et fragile à la fois, perturbée par le retour d’un ancien amant, mais au regard toujours affûté pour observer le monde qui l’entoure, et dont les amis et le verre d’alcool ne sont jamais bien loin pour l’aider à respirer.
On a déjà hâte de lire sa prochaine aventure !