Je viens de terminer Rue Mexico de Simone Buchholz (L'Atalante, collection Fusion). J'en suis presque étourdie. C'est une merveille de roman noir, et je ne sais par quoi commencer.
Il y a bien sûr le plaisir de retrouver les personnages, Chastity évidemment, mais les autres également. Oh comme je les aime ! Ce sont de vrais personnages de noir, éprouvés, cabossés, mais ce ne sont jamais des caricatures du genre. On quitte un peu les lieux habituels, pour Brême, mais tout reste poisseux à souhait, et beau en même temps, d'une beauté littéraire, je veux dire que c'est le regard et l'écriture de l'autrice qui instillent de la beauté.
Je ne sais si c'est moi (mon humeur) mais j'ai trouvé ce Rue Mexico encore plus sombre que les précédents, en tout cas moins tempéré par des touches d'humour. Sans doute est-ce parce que l'intrigue se prête moins à la dérision. S'y déploie toute la puissance de Simone Buchholz, un portrait sans concession de nos sociétés désagrégées, profondément minées par des saloperies diverses. Il n'y a aucun manichéisme, aucun angélisme, et pourtant, une humanité, une capacité à entendre les souffrances... Comme l'équipe de Chastity et Ivo, on est soufflés devant l'impensable, l'inacceptable. La rage nous prend, un sentiment d'impuissance aussi. Nouri, Aliza, deux victimes de la criminalité, une criminalité qui n'a pas du tout le même visage mais finalement, les mêmes méthodes, les mêmes façons de liquider les "menaces".
Simone Buchholz nous parle de ce monde qui se consume, des gouffres qui se creusent sous nos pieds. Il y a ceux qui sont du bon côté de la barrière, apparemment, et qui jouissent, c'est-à-dire entrent dans la danse, agréent au système: on les croise dans les bars branchés, insouciants de tout. Il y a ceux qui ne sont pas du bon côté et s'emparent, violence en bandoulière, de ce à quoi ils aspirent : argent, femmes, dans une conception clanique terrifiante. Tous se rejoignent dans cet appétit de jouissance dégueulasse, dans la criminalité qui sous-tend le système.
Entre les deux, il y a Nouri, Aliza, le Rote Flora (lisez le roman) et son alternative fragile et menacée. Et ça broie le coeur.
Tout cela finira mal. Le roman est ponctué de la mention de ces voitures qui brûlent, dans la nuit des petites et grandes cités. Un avertissement.
Et puis il y a l'écriture de Simone Buchholz, sa façon de composer les chapitres, brefs, parfois très très brefs, comme des gifles, avec un sens de la chute inouï et assez rare. Pas de cliffhanger, on n'est pas dans un thriller. Et sa manière de composer des phrases, comme des poèmes en prose ou même en vers libres. C'est beau à pleurer. Je salue la traduction de Claudine Layre.