Une légende court chez les aventuriers qui parcourent le désert, dans les tavernes après plusieurs verres, sur les marchés au fil des conversations : il existerait, perdue au milieu des dunes, une cité peuplée et dirigée par des femmes. Impensable dans une société où l’homme tient la première place et seul décide du destin des membres de sa famille. Et pourtant, ils sont nombreux à être tentés par le voyage à travers la solitude de sable afin de découvrir la ville mythique. Lecteurice, assieds-toi, car l’histoire de la cité de soie et d’acier va commencer.
Un conte des Mille et une nuits
[...] J’ai été conquis, enchanté par cette histoire merveilleuse, au doux parfum d’un Orient imaginaire et fantasmé. Comme dans un de ces contes qui ont bercé une partie de mon enfance, l’action se déroule dans un pays où l’air est chaud, le sable doux mais meurtrier quand on ne le connaît pas. Les hommes n’hésitent pas à risquer leur vie pour un trésor, une nuit avec une femme. Femme qui est censée être belle et ne pas poser de problème, bref rester à sa place attitrée.
Mais dans La Cité de soie et d’acier, l’ordre ne va pas être respecté longtemps. Les femmes vont devoir changer de rôle si elles veulent survivre. En effet, suite à l’assassinat du sultan qui les possédait, ses trois-cent-soixante-cinq concubines sont condamnées à disparaître. Une seule solution : s’échapper. Et ensuite, on verra. Les voilà donc parties, se demandant que faire. Où qu’elles aillent, même dans des lieux éloignés de Bessa, la ville où elles menaient leur vie d’esclaves (mais bien traitées, disaient-elles), elles devraient faire face à une évidence : les femmes sont toujours traitées comme subordonnées aux hommes. Elles doivent se conformer à leurs volontés. Aussi, elles décident finalement de tenter une aventure originale : composer un groupe autonome non soumis à la volonté des mâles.
Anarchie partielle
La gestion du groupe, puis de la cité m’a automatiquement fait penser à Un pays de fantômes, de Margaret Killjoy. Dans ce roman qui évoque l’anarchie et son fonctionnement, on trouve des points communs avec la façon dont les femmes mettent en place la bonne gouvernance de l’entité qu’elles composent, puis de leur nouvelle demeure. Pas de nouveau sultan, pas de nouveau chef. Même si cela doit être une cheffe. Les décisions se prennent de façon collégiale. Et tout le monde a droit à la parole. Même si, comme le fait remarquer une participante, cela relève de l’impossible : « Les quatre cents d’entre nous ? C’est absurde. Nous ne parviendrons jamais à une décision ! » Il lui est répondu avec sagesse : « Nos vies sont toutes en jeu. Nous devons œuvrer de concert pour survivre. Et nous travaillons ensemble, d’un commun accord. » Comme dans le récit de Margaret Killjoy, la parole est libre et partagée, chacune a le droit de donner son avis. Malgré la difficulté de se mettre d’accord. En tout cas, à Bessa, dans La Cité de soie et d’acier, cela fonctionne parfaitement. Et l’on assiste à la mise en place d’une utopie réjouissante, même si on en sait déjà le caractère éphémère.
Des récits enchâssés
[...] Ce roman est avant tout un récit plaisir, construit avec science pour notre plus grande joie. Comme dans Les Mille et une nuits, au début, les histoires s’enchâssent les unes dans les autres. Une manière habile de nous faire découvrir les personnages les uns après les autres. Et de maintenir le suspense. Ça marche à tous les coups. Et même si cette structure ne continue pas tout le long du récit (on revient souvent à des chapitres qui se suivent de manière chronologique), les auteurices se montrent subtils dans la construction de leur texte : ils maintiennent le mystère, nourrissent la curiosité et savent accompagner leurs lecteurices jusqu’au bout sans aucune once de lassitude.
La Cité de soie et d’acier possède décidément et le plumage et le ramage. J’avais été attiré irrésistiblement par la superbe illustration de couverture de Shahzeb Khan Raza (dont vous pouvez aller voir le travail à cette adresse). Et je n’ai pas été déçu par le contenu. Dès les premières pages, dès les premiers mots, je suis parti en voyage avec les trois membres de la famille Carey loin de mon domicile, loin de mon quotidien, loin de ma routine. Et j’ai vibré avec les fondatrices de cette cité mythique, la Cité des femmes.