Je ne peux pas tout mettre sur le compte de son étroitesse d’esprit ; il m’aimait comme il m’avait toujours aimée, du temps où j’étais la fille d’une concubine qui n’avait jamais rêvé de plus grand bonheur que l’amour qu’il avait à m’offrir. En définitive, j’avais grandi et lui non. Je ne pouvais rendre les armes, et il refusait de voir que je ne les élevais pas contre lui. J’ai échoué à lui faire comprendre que je le quittais non parce que je croyais son amour fané, mais parce que cet amour ne suffisait pas. Il voulait que je m’en nourrisse et que j’y puise de la force, mais cela ne suffisait pas – et ne suffirait jamais – à me sustenter au long d’une vie dilapidée. Au bout du compte, j’étais prête à tout sauf à ce pour quoi j’avais traversé le désert. Alors je suis partie, pour trouver ce pour quoi j’étais vraiment revenue.
Il arrive que l’on ne se retrouve pas, après avoir lu un livre, dans ce qu’en dit la quatrième de couverture. Souvent les comparaisons avec d’autres auteurs peuvent en réalité nous paraître tirer par les cheveux. Mais, ici, lorsqu’il est question d’un « roman de fantasy féministe inspiré d’Ursula K. Le Guin et des Mille et une nuits« , on ne peut qu’être d’accord. Les deux références sont en effet clairement évidentes.
La construction de ce livre est en effet très proche des Mille et une nuits, non seulement pour le cadre de ces cités du désert qui nous renvoie à un Orient mythique, mais également par le fait que la plupart des chapitres sont des contes, qui vont venir, par petites touches, comme les tesselles d’une mosaïque s’assemblent pour donner un dessin d’ensemble, nous raconter cette épopée.
Comment Bessa, une fois libérée du tyran religieux, Hakkim Mehdad, devient-elle une mythique Cité des femmes ? Grâce, tout simplement, à la volonté de ces femmes de ne pas reproduire les erreurs du passé. Mais, on le voit, sortir du cadre et proposer une utopie, aussi belle soit-elle, contient souvent en germe tous les ingrédients qui vont concourir à sa perte.
Mais le plus intéressant , dans ce recueil de contes, c’est la réflexion, précisément, sur la façon dont ces femmes, longtemps invisibilisées, niées, ignorées, – ou, quand elles ne le sont pas, c’est pour de mauvaises raisons -, vont être capables de sortir du rôle qui leur était assigné pour devenir plus grandes qu’elles-mêmes. Mais cela ne va pas sans peines, sans choix déchirants, sans prix à payer. Ainsi, la citation choisie, et qui figure en haut de cette chronique, exprime avec force l’idée que, parfois, ceux qui nous entourent, parce qu’ils ne nous voient pas évoluer, changer, grandir, peuvent devenir étouffants. Ici, c’est Taliyah qui parle. Lorsqu’elle est partie de Bessa pour Perdondaris, elle n’était que la fille d’une concubine, et toute la société avait participé à ce que ce statut la définisse, devienne ce qu’elle croyait être son identité. Elle avait un amoureux, et elle se languissait de lui. Mais quand elle le retrouve, elle s’est découvert d’autres envies, d’autres capacités, et le bonheur de le retrouver s’est rapidement mué en enfermement, parce qu’il n’a pas compris qu’il avait une nouvelle Taliyah face à lui. Il a voulu qu’elle redevienne celle qu’elle était avant de partir, alors qu’elle était devenue bien davantage…
[...]
Que de beaux personnages ! Zuleika, Rem, Gursoon, Zeinab, Anwar Das… Pour ne rien révéler, nous n’en dirons rien, si ce n’est que, chacune et chacun dans son rôle contribue à faire de ce récit une épopée.
Alors, prêt(e) à monter à dos de chameau pour rejoindre l’aventure ?