Je n’ai plus besoin de préciser à quel point Becky Chambers s’est ménagée une place particulière dans mon cœur. Cette dernière explique à elle seule ma précipitation à me procurer son dernier ouvrage traduit chez l’Atalante, tout comme mon empressement à la lire au lendemain de sa réception. Pas de réelle appréhension en dehors d’un doute persistant m’amenant à me demander si les forces que je considère comme étant essentielles à ce que j’aime chez l’autrice sauront se retrouver dans une novella avec le même impact et la même densité. Confiant, mais pas naïf, dirons-nous. Comme avec mes auteurices favori·te·s, l’enjeu était de tempérer l’enthousiasme préventif tout en tâchant d’éviter de sombrer dans le travers inverse. Je crois que j’ai plutôt fait du bon boulot à cet égard, et Becky Chambers a, de son côté, plutôt très bien fait le sien. Et j’en m’en vais essayer d’expliquer tout ça à travers mes yeux de fanboy, aussi incorrigible qu’incorruptible.
Quel plaisir infini que celui d’être en terrain familier. Dans cette novella, j’ai pu éprouver la joie de retrouver tous les aspects du travail de Becky Chambers qui m’avaient tant séduit dans L’Espace d’un An, pour ne citer que ma première rencontre avec elle et son travail. Difficile donc d’en refaire un inventaire qui semblerait sincère et exhaustif sans souffrir de la répétition. Je vais donc faire de mon mieux pour me concentrer sur ce qui a su me surprendre et faire une réelle différence sans pour autant se dédire des romans qui ont précédé. Une nouvelle dimension dans le sense of wonder, notamment, avec des inventions conceptuelles nouvelles, s’éloignant juste assez de l’introspection consciente pour rentrer dans des considérations plus techniques et science-fictives, assez vulgarisées pour ne rien enlever à l’expérience habituelle mais simplement lui ajouter de nouvelles facettes.
À mes yeux, cette novella est une nouvelle façon pour Becky Chambers d’expérimenter l’altérité qu’elle a déjà pu explorer dans la trilogie des Voyageurs sous un nouvel angle, plus méta-physique que conscient. Ses personnages, bien que complexes et magnifiquement humains, ne sont pour cette fois pas le vecteur direct de ses réflexions, mais plutôt leur porte-parole ; les péripéties qu’ils vivent, les épreuves auxquelles ils font face sont autant de prétextes à leur interrogation finale, qui clôt à merveille l’ouvrage ; la nourrissant à la perfection de tout ce dont nous avons besoin pour la comprendre au mieux et y répondre avec nos propres arguments. Si j’aime autant la Science-Fiction en général, et celle de Becky Chambers en particulier, c’est quand elle pose les bonnes questions en apportant un maximum d’éclairages nouveaux, parfois abstraits mais toujours cohérents, sans y répondre directement elle-même. Autant dire que Apprendre, si par bonheur fait ça extrêmement bien, en laissant ses personnages littéralement tout nous exposer de façon neutre, mettant leur histoire, et donc la nôtre, en perspective.
Il s’agit dans cette novella de regarder la réalité en face, et de l’examiner au mieux. Il s’agit de bien faire l’inventaire de nos options, sans complaisance ni faux optimisme, mais encore moins avec cynisme. Il s’agit d’espérer, de rêver, mais dans les proportions que nous pouvons nous permettre. Beaucoup de choses sonnent juste. Très juste. Et font mal, parfois. Beaucoup de ces choses sont des détails, presque un arrière plan trop flou pour qu’on y prête attention. Et pourtant, toutes nous rappellent que nous vivons, tou·te·s, une période terrible, et que cette terreur n’est pas une excuse pour l’inaction, mais devrait bien être un moteur. Que ce soit le cynisme, l’horreur, l’apathie, la peur, rien ne devrait être un réel frein à notre force commune, à nos capacités d’unité et de surpassement. Et pourtant.
Jamais dans ses ouvrages, réputés pour leur positivité, Becky Chambers ne s’était laissé aller une quelconque béatitude candide. Elle prêchait simplement une approche bienveillante de problématiques se situant à notre échelle de conscience, dont nous pouvions déjà nous préoccuper, les plaçant simplement dans un paradigme très différent pour leur conférer un écho particulier. Il ne s’était jamais agit d’ignorer la difficulté de nos vies, simplement de l’interroger différemment, à travers un prisme plus doux qu’à l’accoutumée. Ici, le problème n’est pas le même, et le prisme non plus. Il ne s’agit pas de renoncer à la bienveillance et à la douceur, mais bien de se rendre compte qu’avec une échelle et un paradigme différent·e·s, les solutions comme les moyens d’action ne peuvent nécessairement pas être les mêmes. Si j’ai été ravi de retrouver des personnages complexes et des interactions organiques comme je les aime et les ai aimés dans ses œuvres, j’ai aussi été ravi de voir un changement général par rapport au fonctionnement habituel de l’autrice.
Difficile, avec un texte aussi court, d’essayer d’en couvrir les enjeux tout en n’en dévoilant pas les éléments principaux. Très honnêtement, j’ai été surpris, agréablement, certes, mais tout de même surpris, de retrouver Becky Chambers avec un texte aussi direct, parfois bien plus percutant que ce à quoi ses autres textes avaient bien pu m’accoutumer. J’en suis ravi, car cela n’augure que de très bonnes choses pour la suite, même si je dois reconnaître une terrible frustration arrivé à la fin. J’en aurais voulu plus, tout simplement. En apprendre plus, sur ces personnages, toujours aussi réussis et attachants, comme sur leur avenir, les enjeux du récit les présentant ; à peu près tout, finalement. J’en aurais voulu plus. Pour cette unique raison, j’aurais tendance à considérer ce texte légèrement en dessous de ses prédécesseurs. Pure mesquinerie, que j’assume totalement. Le reste est à l’image de la délicate intelligence de Becky Chambers, c’est à dire formidable. Si vous avez aimé le reste, foncez, sinon, foncez, parce que ça pourrait bien vous faire changer d’avis.
Le syndrome quickson