On raconte que le Solarpunk serait un nouveau mouvement littéraire, artistique et militant cherchant à imaginer un futur positif et à faire face aux enjeux de la crise climatique. Il se décline à toutes le sauces : Greenpunk, Brightpunk, Hopepunk... [...]
Je ne saisissais pas non plus la différence avec une utopie classique. Ce qu’il faut savoir, c'est que les lecteurs de Solarpunk réclament un réalisme possible, or, le problème de l'utopie, c'est la fuite du réel. Pour citer Paul Ricoeur : « L’utopie n’est plus alors qu’une manière de rêver l’action en évitant de réfléchir sur les conditions de possibilités de son insertion dans la situation actuelle ». Mais, à mon avis, le Solarpunk n'est pas en reste. Il crée un effet d'hypotypose futur : il rend un avenir radieux présent, et l'alerte envers la crise climatique est alors absente de la diégèse... Pour moi, le Solarpunk n'avait plus grand intérêt, jusqu'à ce que je lise Un psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers :
"Certains, percevant les signes avant-coureurs, avaient érigé des constructions du genre de cet ermitage pour donner l'exemple des possibles. Mais il ne s'agissait que d'îlots dans un océan toxique. Les bonnes intentions de quelques-uns n'avaient pas suffi, n'auraient jamais pu suffire à inverser le paradigme. Le monde, en fait, avait eu besoin d'un bouleversement radical."
On ne nie pas la crise qui s'en vient, j'avais enfin trouvé tout ce que j'espérais d'un roman de Solarpunk. De plus, sa forme d'apologue me rappelle les utopies des siècles passés.
Jadis, la crise a frappé, et nous voici sur Panga, une planète où les humains vivent en harmonie avec la nature, autant que faire ce peut. On a appris des expériences ratées, et on vit dans une sobriété heureuse et bienveillante. Même les robots, qui ont acquis une conscience, ont pu se libérer de leurs chaînes et se retirer de la société avec le soutien et la compréhension des humains. Nous suivons les pérégrinations de Dex, un.e moine de thé qui fait le choix d'être non-genré, et dont ce choix se traduit par des pronoms inclusifs tout au long du récit. (Bien que j'ai apprécié cette nouveauté absolument rafraîchissante, je déplore les (trop) nombreuses répétitions du pronom iel, parfois à la hauteur de 9 occurrences sur 6 lignes, qui agacent quelque peu.) Au cours d'un voyage initiatique, iel fera la rencontre d'un robot qui apportera une réponse à son mal-être intérieur. Une réponse que je trouve délicieusement anticapitaliste.
Ce très court roman de science-fiction est une ode au thé et à la prise de conscience. Le retour à un polythéisme culturel rappelle les bienfaits des croyances primaires ; on ressent tous les messages positifs qu'a voulu faire passer l'autrice à travers cette petite histoire.
« C'est joli, ici, dit Dex. Je n'aurais jamais cru dire à d'un endroit pareil, mais...
— Oui, c'est joli, dit Omphale comme s'il venait d'aboutir à une décision. Vraiment. Les agonies, c'est souvent beau. »
Dex haussa un sourcil. « Macabre, ta remarque.
— Tu trouves ? Je ne suis pas d'accord. » Omphale, l'esprit ailleurs, caressa les frondes d'une fougère, comme la fourrure d'un animal. « C'est beau, je trouve, d'avoir la chance de contempler une chose sur le déclin. »
Après la série Les Voyageurs et Apprendre, si par bonheur, Becky Chambers prouve une fois de plus sa maîtrise de la SF feel good. (Mention spéciale à la couverture des éditions L'Atalante qui illustre admirablement le texte.)
Manon Tardy