Un.e moine, malgré un bonheur apparent et une grande efficacité dans l’accomplissement des tâches qui lui sont confiées, n’est pas heureux. Il se lasse de ce quotidien sans problème et rêve d’autre chose. Iel se décide alors à tenter une nouvelle expérience : se promener, sur un vélo-maison, à travers le pays afin de proposer une écoute attentive à ceux qui en ont besoin. Cela elui permettra de voyager et de découvrir autre chose. Mais cela elui apportera-t-il enfin la quiétude ?
Un conte philosophique ?
Un psaume pour les recyclés sauvages, premier court roman d’un diptyque (Une prière pour les cimes timides devrait bientôt suivre), reprend de nombreux éléments des contes philosophiques. Les situations sont assez simplifiées et l’on ne se perd pas dans les détails. La portée des évènements qui arrivent au personnage principal est plus qu’individuelle et peut se généraliser à un grand nombre de personnes. Ces péripéties permettent au lecteur de s’interroger sur le monde et son état, même si celui qui est décrit dans ce récit est tout autre que celui dans lequel nous vivons. Mais j’y reviendrai plus tard.
Frœur Dex est un moine qui s’ennuie et décide donc de voyager. Il commande alors la fabrication d’un vélo trainant une habitation individuelle sacrément bien conçue (j’aimerais bien en avoir le plan, pour voir comment tout cela fonctionne) qui permet de se promener en toute autonomie. Enfin, il faut acquérir de quoi se nourrir, mais l’essentiel est là, bien à sa place dans sa petite demeure. Donc, Frœur Dex devient moine de thé : il doit aller de village en village afin d’apporter la sérénité aux villageois. Comment ? Grâce à une bonne tasse de thé prise autour d’une table où les personnes en souffrance (ou seulement agacées) peuvent venir se plaindre et discuter avec le moine. Difficile au début, mais rapidement aisé pour Frœur Dex, qui finit par exceller dans cette discipline. Mais là encore, la lassitude finit par lae rattraper. Heureusement, la rencontre d’Omphale va bouleverser cette routine.
Un monde futuriste tourné vers l’autre
Frœur Dex évolue dans un monde qui pourrait être le nôtre après pas mal de bouleversements. Le plus grand changement cité dans ce roman est l’Éveil, le départ des robots. La série dont Un psaume pour les recyclés sauvages est le premier volume, s’intitule d’ailleurs Histoires de moine et de robot. Un jour, donc, les robots ont décidé de cesser leur travail et de ne plus approcher les humains, afin de les laisser mener leur vie sans les gêner, sans les entraver. Depuis, plus personne n’en a vu un. D’où la surprise immense de Frœur Dex quand il croise Omphale, un robot en parfait état. Surprise d’autant plus grande quand le même Omphale lui révèle la raison de se venue : voir où en sont les êtres humains. Et voilà le moine suivi à la trace par un être de métal tout émerveillé par ce qu’il découvre en fréquentant cette personne faite de chair et de sang.
Mais revenons au monde décrit. Tout semble y être en harmonie. Les machines sont réduites au strict minimum. Le recyclage est la norme. Le vélo, amélioré, permet de transporter un habitat individuel où tout est pensé pour avoir le minimum d’impact. Les individus semblent avoir des places définies qu’ils occupent avec un certain bonheur. Si certains éprouvent des difficultés avec leur travail, avec leurs voisins, ils peuvent se libérer de leurs tensions en parlant à un moine venu avec sa petite maison et, surtout, un bon thé. Car la cérémonie d’écoute passe aussi par la dégustation d’une boisson chaude à la recette spécialement conçue pour l’interlocuteur et sa situation. Ce qui demande un certain talent de la part du moine. Comme s’en aperçoit Frœur Dex lorsqu’iel change de vocation et circule à travers les campagnes pour se mettre à l’écoute de ses concitoyens. Comme je l’ai écrit plus haut, il trouvera vite les bonnes recettes pour apporter la détente aux autres. Mais pas la plénitude dans sa propre existence.
Philosophie, donc ?
Frœur Dex ressemble parfois à un.e enfant gâté.e qu’on a envie de secouer. Tout va bien pour iel : iel réussit dans son premier métier, puis dans son deuxième choix. Et à chaque fois, iel éprouve de l’insatisfaction, un vide existentiel. Mais quand on y réfléchit, combien d’entre nous n’ont pas ressenti ce creux au fond de leur esprit. Quand tout paraît aller sur des rails mais que l’on sent confusément que quelque chose manque. On se secoue en se traitant de capricieux, mais il reste un manque au fond de soi. Et c’est cet état d’esprit qui est brillamment mis en scène dans ce roman. Frœur Dex s’interroge sans comprendre d’où vient son insatisfaction. Et cela lae mine. Comme cela nous mine. Surtout dans cette société de consommation remise en question de nos jours. Suite au Covid. Suite aux bouleversements climatiques. Suite à la disparition des grandes causes qui permettaient de se trouver un but, une raison de vivre malgré la banalité du quotidien. Et le récit de Becky Chambers, même s’il n’apporte pas de solution miracle, fait du bien car il aborde des questionnements cruciaux avec un ton rassurant, un rythme apaisant. Malgré les doutes et les inquiétudes, on se sent bien et on peut se poser des questions sans angoisse. Loin du malaise qui sort des pages de Composite d’Olivier Paquet, autre roman qui s’interroge sur notre société.
Becky Chambers est réputée pour le côté rassurant de ses écrits. Malgré la difficulté de certains thèmes qu’elle peut aborder, elle le fait avec la douceur d’une nourrice guidant un jeune enfant. Elle rassure tandis qu’elle nous fait progresser dans notre réflexion, dans notre connaissance de nous-mêmes et de notre rapport au monde. Une belle histoire aux racines profondes. J’attends la suite, prévue pour mars 2023, en dégustant une petite tasse de thé.