Omphale et Dex quittent la forêt où ils se sont rencontrés pour rejoindre les autres humains. N’oublions pas qu’Omphale a pour mission de découvrir ce qui est arrivé à l’humanité depuis le départ des robots. Savoir si leur éloignement a profité à ceux qu’ils servaient auparavant. Le.a moine organise une sorte de tournée pour présenter son nouvel ami aux villages. Et les voilà partis, lui marchant, iel pédalant.
Autant Un psaume pour les recyclés sauvages tournait autour de Dex et de sa quête d’un sens à son existence, autant cette deuxième novella commence avec Omphale en personnage central. Logique, après tout, pour un personnage dont le nom signifie, en grec ancien (ὀμφαλός) « nombril ». Et même, dans la mythologie grec, « centre du monde » : Zeus avait envoyé deux aigles des points les plus éloignés du monde. Les deux rapaces se seraient retrouvés à Delphes, reconnu ainsi centre de la terre. Bon, je m’éloigne un peu du récit, mais cela paraît très cohérent. Car Omphale va devenir, sinon le centre du monde, du moins celui de l’intérêt de toutes ces femmes et hommes qui n’avaient pas vu de machines depuis bien longtemps. Depuis toujours même pour beaucoup. De son côté, le robot, je vous le rappelle, tombe régulièrement en admiration devant ce qu’il ne connaît pas. Et devant la nature et ses manifestations. Ce qui donne lieu à quelques agacements du côté de Dex. Et, même si cela fait sourire, on le comprend bien. Ceux qui se sont promenés avec un maniaque de la photographie, qui ne peut s’empêcher de stopper la promenade pour prendre un cliché toutes les trente secondes, comprendront bien ce sentiment.
Les réactions des humains sont multiples et variées, selon les lieux et selon les caractères. Dans l’ensemble, je les ai trouvées bien vues et assez complètes dans le panorama de ce que l’on pourrait imaginer en pareille circonstance. L’intérêt de décentrer l’histoire est que cela permet d’observer de façon, sinon plus objective, du moins différente ce qui nous paraît évident. Et Becky Chambers s’y entend dans la description bienveillante de ce et de ceux qui nous entourent. La société qu’elle a imaginée donne envie, même si elle n’est pas parfaite (on découvre dans cette novella des cités pas particulièrement accueillantes, plus proches des vieux bourgs repliés sur eux refusant tout contact avec le monde extérieur) et même si certains aspects peuvent être agaçants.
Ce n’est pas un peu répétitif ?
Mais d’aucuns se demanderont si cela ne fait pas un peu doublon avec le premier texte de cette courte série. Car les personnages sont les mêmes et on retourne dans le monde découvert au début d’Un psaume pour les recyclés sauvages. Eh bien non ! Car, si la société est identique, on va plus loin dans ce que l’on en connaissait et même, on en découvre d’autres aspects. Et Une prière pour les cimes timides (l’explication du titre apparaît au cours du récit) aborde des thèmes différents ou les mêmes mais traités autrement ou encore plus loin que dans le premier tome. Tout d’abord, on est obnubilés par le destin d’Omphale, boite de métal qui essaie de trouver sa place sans entrer en contradiction avec ses convictions les plus profondes. Puis, on se passionne pour les liens de plus en plus forts tissés entre ces deux personnages : un robot isolé des siens, explorateur volontaire d’un monde si différent du sien ; et un.e moine qui ne trouve définitivement pas sa place dans la société qui l’a vu naître. Car Dex n’est plus intéressé.e par sa tournée. Proposer du thé en discutant avec des inconnus (ou non) ne lui parle plus. Iel n’y trouve plus de motivation. Depuis sa rencontre avec Omphale, l’équilibre qu’iel avait mis tant de patience à trouver dans Un psaume pour les recyclés sauvages a volé en éclats.
Vous avez aimé Un psaume pour les recyclés sauvages ? Vous ne serez pas déçu par Une prière pour les cimes timides. Avec la même bienveillance, la même force d’observation, Becky Chambers conduit ses deux personnages à travers les méandres des sentiments. Avec aisance et intelligence, elle nous propose des miroirs où l’on peut s’examiner, sans amertume ni violence. Une lecture toujours aussi plaisante, surtout en ces mois encore sombres.