Historien et professeur d'université, Phenderson Djèlí Clark, né en 1971, est venu sur le tard de la littérature, mais a vite rencontré le succès : deux de ses oeuvres – nouvelle et novella – ont été couronnées des prix Nebula et Locus. Maître des djinns, son premier « gros » roman, prend pour cadre le même univers qu'une paire de textes traduits il y a peu : une Égypte résolument steampunk, peuplée de goules, génies et autres émanations baroques qui, au début du XXe siècle, a supplanté l'Angleterre. Fatma el-Sha'arawi, héroïne au solide caractère déjà croisée dans L'Étrange Affaire du djinn du Caire, travaille pour le « ministère de l'Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles ». Et une immense menace se profile : le retour prétendu d'une figure légendaire qui, en son temps, a permis l'arrivée des créatures susmentionnées. Quand le livre commence, la délicieuse Fatma, dotée d'une maîtresse volage et d'un goût prononcé pour les tenues européennes, tire sur la pipe d'un narguilé magique devant des parieurs, puis conclut un marché avec un djinn récalcitrant. Sur quoi on lui apprend que « les membres d'une loge dédiées à al-Jahiz sont retrouvés brûlés vifs alors qu'un homme se prétendant le mystique soudanais se pavane dans les rues et distribue des cartes de visites enflammées ». La jeune femme doit se lancer dans une enquête des plus périlleuses, dont pourrait dépendre le sort du monde.
Plonger dans l'éblouissant roman de P.Djèlí Clark, c'est, d'abord, découvrir des décors d'une sensualité extravagante, un entrelacs de ruelles sinueuses (« boutiques de soies et étagères chargées de pièces de rechange pour eunuques mécaniques », etc.), baigné de mystère et de magie, et servi pour une superbe écriture. C'est, surtout, tandis que se déploie une intrigue classiquement retorse, embrasser une fantasy moderne, infusée de thématiques nouvelles – du racisme au féminisme en passant par la discrimination. Un rayonnant récit d'aventures, en somme, débarrassé de clichés et stéréotypes qui ont souvent alourdi le genre.
Fabrice Colin