Méduse a été édité pour la première fois aux Éditions Alto, une maison d’édition québécoise en 2020. Cette année, ce sont les Éditions L’Atalante qui nous proposent de découvrir ce texte dans le cadre de la rentrée littéraire. Le texte de Martine Desjardins accompagnant les parutions Le premier jour de paix d’Elisa Beiram (déjà autrice de Rêveur zéro et qui nous avait parlé de son futur écrit durant l’interview) et Le silex et le miroir de John Crowley.
C’est ainsi que nous pourrions expliquer en quelques mots ce qui caractérise la jeune fille dont le nom s’est perdu au sein de sa famille. La jeune femme est la troisième d’une sororité, celle dont les particularités physiques, notamment ses yeux et sa chevelure, font honte à ses parents. Isolée du reste de la maisonnée, devant se cacher et éviter de se montrer en public, la jeune femme subit en permanence les outrages et les humiliations des siens, et particulièrement de ses sœurs, qui n’ont de cesse de la narguer et de la harceler jusqu’à lui attribuer le surnom de “Méduse”… En référence aux animaux, bien sûr, et à leurs caractéristiques physiques qui font écho à celle de la demoiselle.
Cette première étape dans la vie de la jeune femme va nous permettre de comprendre à quel point elle est rejetée par ceux qui devraient la défendre, avant de se trouver, suite à une désobéissance, contrainte par son père de rejoindre un étrange institut. Ici, elle découvrira des compères de misère, d’autres enfants considérées comme ayant difformités diverses, soumises aux règles de l’institut.
C’est dans cet univers que Méduse va progressivement comprendre qui elle est et l’étendue de ses pouvoirs, associées à son étrangeté…
Je pense que vous l’aviez compris au vu du quatrième de couverture et des premiers éléments descriptifs plus haut, l’histoire fait écho à la légende de la fameuse Gorgone. Pour ceux et celle qui ne se souviennent pas de ce mythe, qui est par ailleurs rappelée dans le roman, Méduse était une belle jeune femme qui s’est faite violer dans le temple d’Athéna par Zeus. Athéna a transformé Méduse en Gorgone.
Ce mythe colle tout à fait à l’histoire que nous raconte ici Martine Desjardins : la jeune femme se retrouve condamnée à être isolée et moquée en permanence pour des raisons qui ne sont pas de son fait. La confession de Méduse sera autant la démonstration d’une société résolument patriarcale qu’une mise en lumière de ce que peuvent subir les femmes au quotidien.
En effet, toutes les jeunes femmes présentes dans le récit, que ce soit Méduse autant que pensionnaires de l’étrange institut, sont mises à l’écart car ne répondant pas aux “canons de beauté” que voudrait leur imposer la société : taille, cheveux, bec-de-lièvre et autres particularités physiques les rendent imprésentables aux yeux des hommes qui contrôlent la société. L’écart est d’ailleurs impressionnant avec ces mêmes hommes, décrits dans le récit, les bienfaiteurs de cet institut, qui ont eux aussi des particularités physiques qui ne les classeront pas dans les canons de beauté… ce qui ne leur est paradoxalement pas reprochés. Alors que nous avons l’impression dans un premier temps, lors de la présentation des pensionnaires, de nous retrouver dans un Freak Show, nous comprenons bien vite que les monstres ne seront pas ces jeunes femmes…
En toile de fond, il y a aussi cette honte que nous sentons, que ce soit du côté de Méduse dans un premier temps puis des autres pensionnaires, honte de leurs corps et ce qu’elles sont et donc acceptation de cette société qui les rejette, comme si leur rejet était légitime ; honte aussi de leurs désirs.
Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas d’un simple récit de fiction : il s’agit d’une allégorie de notre société, patriarcale mais aussi un appel aux femmes à ne pas avoir honte d’elle-même. Si l’utilisation de Méduse pourrait faire penser à une “vieille” société, quelques indices tendent à placer l’intrigue plutôt dans la seconde partie du XXè siècle, notamment du fait de la référence à la disparition d’une princesse ou encore les jouets et autres équipements que nous voyons tout au long de l’histoire. (Note : après échange avec Martine Desjardins, la période de l’action était plutôt les années 50)
La société patriarcale est centrale dans le récit que ce soit dans la décision du père d’exclure sa fille de la cellule familiale que dans la mise à disposition des jeunes pensionnaires pour les hommes de l’Institut, esclave de leurs moindres désirs, soumises aux décisions arbitraires et sans aucun espoir de liberté. Et si les hommes sont bien entendus grandement responsable de cette situation, nous sentons aussi le regard se diriger vers celles qui, par leur acceptation tacite de la situation (je pense à la mère de Méduse ou encore à la directrice de l’Institut) contribue à la pérennité de ce système inégalitaire.
Pourtant, au fur et à mesure, Méduse va prendre la mesure de son pouvoir, l’importance d’accepter ce qu’elle est, ce qui lui permettra de résister à ce qu’on lui impose. La dimension sexualité est bien entendu présente : celles des jeunes filles mais aussi celle déviante de leurs bourreaux, mais toujours de façon sous-entendue…
Le fond ne doit pas faire oublier non plus la forme du récit qui est incisif, avec des chapitres courts et un récit en mode confession, un vrai page-turner qui vous tiendra en haleine du début à la fin.