Ses sœurs l’ont surnommée Méduse, à cause de la difformité de ses yeux, si épouvantables qu’ils figent d’horreur ceux qui les aperçoivent.
Le surnom lui ait resté, tant et si bien qu’elle a oublié son véritable prénom. Elle marche tête baissée, le visage caché derrière ses cheveux, épargnant aux autres sa hideur, évitant les miroirs, et toute surface réfléchissante qui pourraient lui révéler à quel point elle est monstrueuse. Sa riche famille en a tellement honte qu’elle s’en débarrasse en la plaçant dans un institut pour jeunes filles difformes, dont la férocité de la directrice n’est que broutille à côté de celle des « bienfaiteurs », notables riches et puissants qui soumettent leurs pupilles à des jeux cruels.
Méduse s’efforce d’être invisible, toujours tête baissée et même bandeau sur les yeux. Pourtant, elle découvre et apprivoise petit à petit les pouvoirs étranges qu’ils lui confèrent, jusqu’à conquérir sa liberté. La dernière bataille sera la plus rude : accepter de se voir elle-même, de regarder ses Abominations en face.
Le roman est écrit à la première personne, dans une ambiance gothique qui évoque la fin du 19e siècle, ou le début du 20e, et leurs « cabinets de curiosités » qui satisfaisaient le goût parfois morbide pour la bizarrerie d’amateurs d’objets rares et souvent horrifiques. Le style est incroyable : d’une précision quasi clinique, mais porté par un souffle qui prend le lecteur au cœur, et ne le lâche plus. L’autrice n’hésite pas à utiliser un vocabulaire sophistiqué, truffé de mots inhabituels ou surannés, qui surprend mais dont la lecture reste magnifiquement fluide et aisée.
Toute l’histoire est une métaphore de la honte associée au corps féminin et à sa sexualité, imposée par une société patriarcale dont les « bienfaiteurs » de l’institut sont les représentants : des hommes immatures qui ne se soucient pas de faire mal, pour lesquels les filles – les femmes – ne sont que des jouets soumises à leurs désirs, quels qu’ils soient. Ce sont eux, les toxiques, les déviants, qui infligent aux autres la honte, la dictature de l’image et de la normalité.
Magnifique réécriture d’un mythe, Méduse est un hymne à la force du féminin, qui dénonce la perversité du patriarcat, dans une narration qui intrigue, prend des détours, joue avec la langue pour mieux se réapproprier le corps. Nous sommes tenus en haleine tout au long du récit, happés dans les filets de cette étrange narratrice, bouleversés, révoltés, émus par la puissance et l’étrangeté du fond et de la forme de ce formidable roman !