Aujourd'hui, pourquoi ne pas découvrir trois bonnes raisons de lire Vita Nostra, tome 1 : Les Métamorphoses de Marina Diatchenko et Sergueï Diatchenko ?
Vita nostra brevis est, brevi finietur…« Notre vie est brève, elle finira bientôt… »
Vita Nostra est le premier tome d'un triptyque sur les Métamorphoses qui sera d'ailleurs le seul fil conducteur, chacun pouvant se lire indépendamment. Ils sont l'œuvre de deux auteurs ukrainiens de SFFF reconnus en Ukraine, en Russie et en Pologne. Ils écrivent depuis 1994 et ont déjà reçu le prix du "meilleur auteur" à l'Eurocon de Glasgow en 2005. Marina et Sergueï Diatchenko ont déjà écrit une trentaine de romans et une centaine de nouvelles et récits.
C’est sans doute la première fois que je m’attelle à la lecture d’un livre sans savoir du tout de quoi il retourne. La couverture y est pour beaucoup. Qui est cette jeune femme qui a l’air de poser, mais qui semble s’échapper de sa posture ? Et puis une lecture d’origine slave n’était pas pour me déplaire. La Russe Yana Vagner étant passée par là avec Vongozero et Le Lac, je me sentais d’attaque, tellement j’avais été emportée par son histoire.
Mais je ne m’attendais pas à une telle surprise. Bonne mais comme une claque ! Il est difficile de trouver les bons mots pour évoquer ce roman tellement il est riche. Et parfois difficile. Et souvent addictif. Voici trois raisons de découvrir Vita Nostra.
Le début du livre est somme toute assez banal. Sasha est russe. Elle vit avec sa mère. Elle est en vacances, elle aime la mer, elle se baigne. Elle va rentrer à la faculté. Et puis, il y a une première poussière dans les rouages de ce joli temps qui passe. En empruntant la rue « Qui-mène-à-la-mer », Sacha s’aperçoit qu’un homme vêtu de noir et retranché derrière des lunettes toutes aussi noires l’observe avec insistance. Apeurée, elle cherche à l’éviter mais celui-ci s’entête. De rencontres en questionnements, Sasha va tomber dans une série de défis qu’elle ne comprend pas vraiment mais qu’elle n’ose pas interrompre. La peur s’installe : si elle ne joue pas le jeu, quelles conséquences néfastes vont mettre en danger les siens ?
C’est là que se joue la patience et l’empathie du lecteur. Car il faut suivre cette jeune fille de 16 ans, qui va tout simplement se mettre à dégobiller des pièces d’or aux signes incompréhensibles.
Le piège se referme autour de celui qui lit en même temps qu’il se referme sur notre jeune fille. On est happé en même temps qu’elle. C’est la première force de ce livre de fantasy qui joue avec nos nerfs, qui fait qu’on éteint la lampe de chevet bien trop tard, car on meurt d’envie de découvrir ce qui va advenir de Sacha.
Celle-ci intègre, après avoir menti à sa mère, l’Institut des Technologies Spéciales, à Torpa, inconnue au bataillon des villes et des universités, cité hors du temps. On rentre alors dans une double vie. Celle, assez classique, de la vie dans un internat plutôt minable, des camarades de chambrée qui n’ont pas le même rythme, des soirées un peu trop arrosées, des premières amours. Mais l’autre côté du miroir m’a fait l’effet d’un danger permanent. Les élèves des autres années ont l’air bizarre, voire d’automates enrayés. Les professeurs sont tantôt paternalistes tantôt des tyrans. Mais Sacha va lutter pour continuer, apprendre, déployer des talents qu’elle ne supposait pas avoir. Ce livre est pour moi une façon de décrire le passage à l’âge adulte, la métamorphose d’une jeune ado qui, en quittant son nid familial, va développer ses ailes. Au sens propre ?
Est-ce qu’il faut avoir peur pour mieux apprendre ? Souffrir pour réussir ? C’est le doute qui s’installe chez Sacha et que le lecteur ressent aussi dans un premier temps. Impossible d’échapper aux enseignants de cette étrange université. Ils poussent à un travail acharné et savent tout du travail réel ou simulé de leurs élèves. Mais les auteurs ne jugent pas, ne prennent pas parti, c’est la grande force de ce texte. Est-ce donc aussi une forme d’apprentissage, une sorte d’épreuve pour le lecteur en même temps que les protagonistes, une expérience humaine ? J’aime cette idée.
Mais quel enseignement est au programme ? Quelles magies sont à l’œuvre ? Quels sont ces manuels dont Sacha ne comprend pas un traitre mot la première année ? A quels métiers sont destinés ces jeunes gens qui visiblement ne sont pas dans cet Institut de leur propre chef, loin de là ? Pas de réponse à coup sûr. Je lis, je patauge, je comprends, un peu, j’apprends en même temps que Sacha. Le vide se remplit, le silence devient mots, le mot est Verbe, Sacha et les autres font partie d’un tout. Personne n’a la même place que l’autre mais tout le monde a une place. La peur n’est plus. Parce que Sacha la refuse. Il lui faut des années pour y arriver. Est-ce la peur qui la conduira à sa métamorphose physique et psychique ou le refus de celle-ci ? Il semble que la marche forcée et la souffrance mènent au futur de notre vie.
J’ai pensé plusieurs fois au cours de ma lecture au roman de Tade Thompson, Les meurtres de Molly Southbourne, concernant le règne de la peur, de la différence, de la lutte, de la transformation.Et si l’amour pouvait aider à cette mue ?
Les personnages secondaires sont une des grandes réussites de cet ouvrage. Sacha est attachante dans son côté rebelle qui a aussi envie d’aider les autres, elle est singulière et il y a longtemps que je n’avais pas été amenée à partager la vie et les relations d’une jeune fille aussi intéressante et complexe. Son amour pour sa mère se heurte au silence qu’elle s’impose et qu’on lui impose concernant ses études et c’est tout le sel de leur relation.
Son mentor, les professeurs de l’établissement se découvrent petit à petit. Il y a la figure à la fois mystérieuse et inquiétante incarnée par Farit Kozhennikov, l’homme qui sait si mal aimer et pourtant…Il y a Kostia, l’élu, qui de fils repoussé, deviendra celui qui peut guider. Il y a les professeurs qu’on apprend à moins détester, les condisciples et leurs secrets souvent douloureux. Il y a ces amours fortes ou difficiles qui soutiennent les élèves, ces amitiés ou inimitiés naissantes dont les auteurs s’emparent avec brio.
Il y a l’amour du langage. C’est une dure réalité que de se dire que si on ne se laisse pas prendre au jeu de l’absence de compréhension immédiate on passera surement à côté de quelque chose.
Et il y a la découverte d’un rythme, d’une étrangeté, d’une écriture parfois sèche, parfois poétique slaves qui m’ont enchantée. La porte est ouverte à tous, la magie est de ce monde-là, mais il faut savoir que c’est puissant, parfois angoissant, abscons par moments. A vous de lire !
PATRICIA LIÈVRE