Je ne suis pas fan de post-apo. Le genre ne m’attire pas, donc je ne le lis pas, donc je le connais mal. Je ne sais donc pas comment ce roman s’insère dans cette production. Mais je l’ai trouvé brillant.
Pendant 850 pages, on suit Artyom dans les couloirs du métro. Dans le noir. Les éclairages n’existent plus que dans les stations même. Et encore: dans les stations les plus pauvres, on ne dispose que de quelques maigres feux. Entre deux stations, on se contente de sa lampe torche ou de son projecteur si on est bien équipé. Le danger est partout et multiple. Des canalisations brisées dont s’écoule un gaz qui rend fou, des disparitions inexpliquées, des mutants, des hallucinations, des bandits, des expéditions armées venant des autres stations… Chaque pas peut vous faire frôler la mort. Ce n’est pas effrayant, ça n’empêche pas le lecteur de dormir la nuit, mais c’est super prenant. Et ça tient sur la durée. Artyom passe la moitié de ces 850 pages dans l’obscurité et les descriptions de ladite obscurité ne sont jamais redondantes ou ennuyeuses. Chapeau.
Aux stations, entre hommes, les dangers pullulent aussi. La ligne Krasnaya, en main aux communistes, et la Hanse, dévouée au commerce, se sont longtemps affrontées. Les mafieux se disputent certaines stations. D’autres sont en main aux néonazis, qui n’hésitent pas à expulser ou tuer les non Russes. Artyom cumule aussi bien les revers que les coups de chance: parfois présent au mauvais endroit au mauvais moment, il frôle la pendaison aux mains des néonazis avant d’être sauvé par une petite bande de trotskistes arrivée in extrémis. Est-il guidé par un mystérieux destin? La question se pose, et Artyom se la pose, lui, à maintes reprises.
Ce qui est formidable, c’est qu’Artyom est foncièrement un gars sympa. Un gars qui ne souhaite de mal à personne. Un gars qui essaye de faire ce qui lui semble important dans un monde qu’il ne maîtrise pas. Non seulement il ne connaît que deux ou trois stations du nord de la ville et traverse donc en débutant toutes les autres, mais le savoir humain en général est en lambeaux: après un temps indéterminé sous terre (quinze ans? vingt ans?), l’humanité du métro moscovite a perdu beaucoup de ses connaissances d’antan; et, de toute façon, la situation évolue tellement vite dans le métro que les informations du matin sont de l’histoire ancienne le soir même, ce qui fait que même les éléments les plus factuels ne sont pas fiables. J’ai adoré ce contexte ultra flou, dans lequel les contours de l’humanité sont aussi mouvants que l’obscurité. Néanmoins, la société du métro est pensée en profondeur, dans son organisation, ses règles et ses dérives. Des clans idéologiques qui se partagent les lignes, les délires religieux, c’est tellement plausible que ça en fait froid dans le dos…
Les personnages sont également bien pensés. Parfois excessifs, certes, comme dans le cas de Khan, qui est presque trop spécial pour être vrai, mais toujours réussis. Et il y a même de l'émotion.
Si le roman relève essentiellement de la science-fiction, il comporte aussi de nombreux éléments qui me semblent plutôt tenir du fantastique, notamment une dose importante de télépathie — quoique, on pourrait penser que ladite télépathie a une explication biologique et relève donc de la SF, elle aussi.
Je ne sais pas comment rédige Dmitry Glukhovsky, mais la version française, produite par Denis E. Savine pour l’Atalante, se lit toute seule et est pleine de nuances. Une merveille. C’est d’ailleurs après avoir vu le traducteur au Festival VO VF que j’ai décidé de lire ce roman. Merci.
Au niveau des critiques, je crois bien n'en avoir que deux: la fin n'est pas celle que j'aurais choisie (lol, c'est une critique, ça?) et les femmes sont spectaculairement absentes. Un vrai monde de mecs.
Au-delà de ses qualités intrinsèques, qui sont nombreuses, Métro 2033 m’a exaltée parce qu’il se passe à Moscou et est donc rempli de noms de station russes. J’adore le russe. Je trouve cette langue merveilleuse à écouter et à lire. Et même des choses aussi banales que des noms de station vous font exulter quand vous avez un niveau infime en une langue. Je suis plus exaltée par le fait de savoir compter jusqu’à cent en russe que par le fait de lire couramment l’anglais, par exemple. Ici, je me disais: J’ai reconnu un féminin! J’ai reconnu un adjectif! YEAH! C’est totalement enthousiasmant. Prenons la station Park Pobedy, par exemple. "Pobedy" se termine probablement par un "i" parce que c’est un génitif féminin, qui sert à montrer à qui est ce parc. C’est "le parc de Pobed". Comme "Biliet Natachi" = le billet de Natacha dans mon manuel de russe. Je ne sais pas qui est Pobed, mais mes neurones sont super contents et fiers de savoir que "Pobedy" est un génitif.
(Après vérification: le "Парк Победы" est le parc de la victoire. Il n’y a personne qui s’appelle Pobed. Lol. Mais c’est quand même un substantif suivi d’un génitif féminin!!)
Allez donc voir ailleurs si ce métro y est!