Alliances est le quatrième volume de ce que l’on pourrait appeler une « série climatique ». Auteur français, Jean-Marc Ligny est passé maître dans le genre de la climate fiction et il a été recruté depuis peu par le GIEC pour rendre compréhensible des chiffres et des données, les mettre en récit. De plus en plus, on voit fleurir des cours autour de l’imaginaire et de la science fiction et des alliances entre scientifiques et auteurs afin de penser l’avenir. BREF. Tout ça pour dire que ce tome « pèse dans le game » et que je ne suis clairement pas la personne la plus à même de chroniquer ce genre d’ouvrage… Mais parce que je sais que vous n’êtes pas non plus les plus à même de vous familiariser avec cette littérature, j’avais envie de vous en parler. Alors pas d’inquiétude, je vais tout vous dire comme je le fais d’habitude, avec mes émotions à fleur de peau et…mon amour pour ce livre.
Mon avis
Le roman s’ouvre sur une tempête. Une tempête qui charrie des nuages noirs qui grignotent le ciel, mangent le soleil. Une tempête que Tikaani, alors bien jeune, regarde avec inquiétude. Il attend que son mentor revienne à bord de son avion solaire. Nous ne le reverrons que plus tard, adulte. Mais dors et déjà ce premier chapitre lance les pistes d’explications, de conjectures, d’hypothèses. Il donne des indices sur la façon dont les humains ont survécu à ces décennies de changements climatiques, à manger des fourmites, un hybride d’une fourmis et d’un termite, et à se terrer dans les montagnes. Du moins c’est la solution qu’a trouvé cette petite communauté d’Islande avec un espoir ferraillé au cœur : trouver d’autres survivants, ne pas être les derniers sur Terre.
Le chapitre suivant est à ce point sanglant que j’en ai eu des hauts le cœur. Et je crois que des images sont encore gravées dans ma tête. De violence, de barbarie, d’anthropophagie. Il existe toujours dans les post apo cette espèce de retour aux « sources » mais qui révèle le pire chez l’être humain, ses instincts les plus vils. C’est un chapitre qui est très dur mais aussi l’histoire d’une survivante : Ophélie. Ophélie qui plus tard se verra affublée d’une maison au creux de la jungle canadienne (oui oui de la jungle) avec un anaconda Sissi, un chat Haret, une mygale, et une myriade de corneilles. Ophélie qui après toute cette brutalité s’est plongée à bras ouverts dans la nature et tout ce qu’elle peut lui donner. Une Ophélie que j’avais envie de suivre. C’est un personnage immensément charismatique, qui a su se construire toute seule mais garder une part de générosité incroyable. Peut-être que ce n’est qu’un personnage romanesque, mais Jean-Marc Ligny lui a donné une tangibilité remarquable.
Au fil des pages on croise des paysages étonnants, jungle, toundra, montagnes, villes, on suit les rêves des derniers humains habitant le monde, et on croise différents personnages à différents moments. Qui disparaîtront. Qui survivront. Des villages entiers qui meurent ou se construisent. Et les espoirs qui se brisent ou se renouvellent sans cesse. On croise le pire et le meilleur de l’humanité, avec cette petite étincelle qui nous fait croire que tout est encore possible. Que l’on peut passer des Accords avec des fourmites mangeuses d’hommes, que l’on peut avoir des enfants qui ne seront pas difformes ou morts nés, que le futur peut toujours se construire. Peut-être. Si Mère Nature nous laisse faire, nous offre les opportunités au bon moment, et qu’on est assez à l’écoute pour le comprendre, l’accepter. Je pense que c’est le message que l’auteur souhaitait faire passer à travers Ophélie.
On retrouve également d’autres personnages qu’apparemment on croise également dans Semences, le volume précédent, Nao et Denn. Ces derniers, plutôt cavernicoles ont été faits prisonniers par un groupe d’humains. C’est là qu’ils ont rencontré Marali qui servait d’esclave sexuelle. Comme je le soulignais avec le deuxième chapitre de Alliances, l’auteur ne verse pas dans le sentimentalisme, dans l’utopisme. Il livre une réalité crue, souvent malsaine et rarement agréable. Sans rien inventer. A la manière de Maraget Atwood qui soulignait que pour écrire The Handmade Tales elle ne s’était servi que de l’histoire de l’humanité, Jean-Marc Ligny s’empare aussi de cette histoire et la remanie à sa sauce. Pour autant les quelques rares notes de positivismes, l’amour que se portent Denn et Nao, la relation étrange qu’entretient cette dernière avec les fourmites en forme de lien télépathique intime, le respect qu’inspire Ophélie, et les alliances qui se créent entre eux, avec le monde et la nature, sont de véritables bouffées d’espoir.
Si le sujet du roman tourne autour du nucléaire et des effets néfastes qu’il a, aura, et aurait sur l’espèce humaine, il n’en est pas pour autant pesant ou trop politisé. La toile de fond est posée. La centrale fuit, tous les hommes qui y travaillent sont malades, les femmes ne donnent plus naissances qu’à des enfants mal-formés, et pourtant le nouveau maire veut la relancer. Prouver que l’humain peut encore s’en sortir avec la technologie. Rendre à son peuple l’électricité qui a tant permis aux hommes avant les Âges Sombres. Mais l’auteur offre aussi une porte de sortie, une vision du futur qui n’est pas utopiste mais qui pourrait l’être. Qui pourrait être belle, harmonieuse. Une vision qui mérite qu’on s’y attarde et qu’on lui donne du temps, du travail, des efforts. Ça pourrait aussi être un message du roman d’ailleurs. Pour voler Tikaani doit faire des efforts, protéger son avion, travailler sa technique. Pour parler aux fourmites Nao est sans cesse en train de se battre contre elle-même, contre les cauchemars qui l’assaillent. Pour survivre à ce que lui ont fait subir les barbares, Ophélie choisit de se battre en offrant son amour, sa bienveillance et sa générosité. La paix, l’amour, la bienveillance, l’harmonie sont des combats intérieurs qu’il faut mener.
Sachez toutefois que si ma chronique vous paraît aller un peu dans tous les sens, c’est qu’il en va de même du roman. Comme je le disais, on suit beaucoup de personnages, qui certes, comme dans tous romans de l’imaginaire, vont à un moment ou un autre influer sur les autres, mais qui poursuivent aussi leur propre quête… Aussi cette petite brique de 472 pages en paraît bien plus et on a parfois du mal à distinguer où l’auteur souhaite nous emmener. Je déplore quelques répétitions, dont je n’ai pas trop compris l’utilité pour la cohérence du récit mais en dehors de cela, ce roman est une véritable pépite que j’ai dévorée !
Petite précision : si ce roman est le quatrième volume de la série climatique de l’auteur avec Aqua TM, Exodes et Semences, il peut se lire tout à fait indépendamment. Ce n’est qu’en faisant des recherches que j’ai compris qu’ils étaient liés.
Au delà de ses messages philosophiques et politiques, Alliances est un roman qui témoigne d’une grande sensibilité…et qui invite à l’être. Versé dans la climate fiction, imbibé de Mad Max et d’observations minutieuses de fourmis et autres petits animaux, ce pavé dense et passionnant est une petite pépite dans le genre du post apo. L’écriture passionnante et foisonnante de détails (macabres ou lumineux), les personnages captivants et charismatiques, et la trame, sur fond climatique et anti-nucléaire, en font un roman puissant. Et impactant.