Dans l’Énéide, Virgile l’évoque à peine.
Ursula K. Le Guin développe son personnage : Lavinia existera pleinement grâce à ce livre.
C’est Lavinia qui raconte : l’oracle qui annonce son mariage avec Énée ayant quitté Troie, la guerre qui oppose les Latins et les Troyens, l’accomplissement de l’oracle, la naissance de Silvius, la mort d’Énée, un autre oracle… Il faut préciser que l’oracle, c’est la parole du poète, Virgile, ayant vécu bien longtemps après cette période, parole entendue par Lavinia qui sait qu’existant dans le livre, elle existera toujours. Fille de roi, devenue reine, son existence n’est pas dans des palais, la Regia est une maison, « briques d’argile dans la terre », où elle vit avec des esclaves qui ont le même âge qu’elle et dont elle partage les activités.
La vie quotidienne est faite de choses simples, d’écoute de la nature, du fleuve-père, des animaux et du travail des champs : ceux que le christianisme désignera comme païens n’étaient en réalité que des paysans, travaillant dans les « pagus ». Et l’écriture d’Ursula K. Le Guin (traduite par Marie Surgers) est somptueuse. Plusieurs façons de gouverner s’opposent. Comme de faire la guerre. « L’ordre des choses est-il juste ? » Un enfant, fut-il fils de roi, doit-il être séparé de sa mère au prétexte qu’il doit un jour à son tour devenir roi ? Les femmes doivent-elles être réduites au silence dans les assemblées publiques ? À ces questions l’autrice n’apporte pas de réponse définitive : il y a des rois qui savent écouter, qui savent protéger leur peuple, des reines obsédées par le pouvoir au même titre qu’un homme. Mais le personnage de Lavinia que présente Ursula K. Le Guin a désormais une histoire et existera toujours grâce à elle, tantôt « mère-louve », tantôt chouette dont le « cri doux et tremblant » encourage : « i, i , va, continue ».