Qui a dit que la science-fiction ne changeait pas la vie ? Quant à Jean-Marc Ligny, j’aime beaucoup sa plume. On oscille entre des futurs assez durs, des instants complètement barrés, mais ça passe. Parce que, je pense qu’il a une manière un peu poétique, parfois, de m’emmener sur des terrains de réflexion. Vous allez voir comment. Dans Alliances, nous sommes dans un univers un peu post-apocalyptique que je ne choisirais surement pas pour mes vacances.
Prenez le Groënland, le premier lieu qu’on visite. Il ne reste qu’un seul village, apparemment et non seulement trouver de la nourriture, cela n’a pas l’air facile mais surtout, ce village est balayé par des tempêtes terribles qui menacent à chaque fois toutes les constructions. Quant au Canada, imaginez un peu vivre dans une forêt tropicale avec comme voisin un Anaconda et les villages qui sont menacés par des espèces de pillards cannibales. Et si vous souhaitez vivre sérénité en ville, vous ne vivrez pas en démocratie et surtout, vous tomberez malade car cette ville est à proximité d’une centrale nucléaire défectueuse donc avec toutes les maladies qui en découlent. La Californie, on ne la voit pas dans ce roman mais, pour avoir vu les descriptions de Semences, c’est un désert où trouver de l’eau, c’est très compliqué.
Et puis il y a des Fourmites. C’est une espèce génétiquement modifiée, au croisement entre des Fourmites et des termites et, si vous ne parvenez pas à vivre en symbiose avec elles, elles peuvent détruire toute une communauté en quelques heures. Et ces Fourmites communiquent entre elles donc toute une colonie peut transmettre des informations à d’autres et vous poursuivre sur le monde entier.
Dans ce monde très rude, Jean-Marc Ligny va nous montrer des personnages très lumineux. Tikaani et Vinda, par exemple, vont passer des années à réparer un avion solaire pour juste tenter de rétablir des liens avec des communautés. Et s’ils échouent parfois, ils reprennent toujours. Ce sont des explorateurs dans l’âme. Tout comme Manali, Den et Nao qui font le voyage inverse et à pied. Ils permettent ainsi à une colonie de Fourmites de communiquer sur le monde. Quant à Ophélie, certes, elle vit apparemment en recluse mais en symbiose totale avec la faune et la flore, montrant à d’autres ce qu’est un refuge et surtout comment vivre autrement Les Fourmites, elles, sont enfin un personnage central de ce roman. Il y a celles qui passent volontiers des Accords avec des communautés humaines et sont de véritables protecteurs. Mais elles peuvent aussi de choisir de vivre leur vie de manière isolée. Elles peuvent par contre choisir, comme les Fourmites ailées, de tout anéantir sur leur passage. Elles représentent à la fois la Nature mais aussi un lien entre les espèces. On ne sait jamais vraiment les considérer can elles sont, dans leur nature profonde, chaotiques. Elles échappent au contrôle des humains, et c’est peut être bien pour cela qu’elles paraissent un peu effrayantes.
Mais vous allez me dire : c’est bien beau cette histoire de Fourmites qui vont surement dominer le monde avec des héros humains un peu farfelus mais qu’est-ce que cela nous apprend sur la réalité de nos jours ? Alors, pour plus de réalités, je vous conseillerai bien sûr de lire le rapport du GIEC mais je conçois que ce n’est peut-être pas votre lecture de chevet. Faisons l’exercice. Dans ces rapports, on montre que les actions globales sont impératives ! les gouvernements doivent à tout prix s’allier pour freiner le réchauffement climatique, sans cela, on atteindra le point de non retour. Et surtout, le temps presse et il faut impérativement que le monde s’adapte. Le lien avec Alliances est là, Jean-Marc Ligny a à peine poussé les curseurs.
Dans ce monde, les gouvernements ont manifestement échoué et on se retrouve à vivre dans un monde plutôt hostile pour les humains mais qui tourne, en vrai. L’auteur nous montre ce monde comme un avertissement concernant les inactions gouvernementales et il place clairement ses espoirs dans les micro-sociétés. Les avertissements, c’est sans hésitation les villes et les villages fantômes que parcourent Tikaani et Vinda.
Qui plus est, quand il existe une forme de gouvernement, comme la ville près de la maison d’Ophélie, on voit bien que cela ressemble à n’importe quoi. Par contre, voir le monde d’Ophélie au cours du roman donne envie. Et il y a Tikaani qui arrive à voyager sur de grands espaces avec une technologie non polluante Et pourtant, ces solutions ont leur limite, face à de grosses menaces comme les centrales nucléaires. Pour faire autre chose que survivre, les humains devront faire autrement, devront trouver des Alliances improbables en acceptant de faire des compromis. Ce que représente les Fourmites aussi, selon moi, c’est aussi la nécessité d’associer plusieurs choses. D’abord, les actions gouvernementales avec les actions locales. C’est cela l’Alliance dont parle le roman, du moins en partie. Mais aussi elles représentent la force d’une association transdisciplinaire : la science, l’écologie et la société Ne pensez pas que ce roman est pessimiste. Alors oui, il peut paraître un peu effrayant quand je présente le contexte mais l’auteur est là, avec son écriture toute fluide et facile d’accès. Il nous montre des personnages qui agissent vraiment. Malgré l’isolationnisme provoqué par la situation, les communautés restent. Les gens se lient et la clé reste de tenter de communiquer et de se comprendre. En créant ces histoires, l’auteur montre que l’on peut changer notre rapport à l’environnement, que l’on peut changer notre rapport à notre mode de vie actuel. Et puis, il nous montre l’espoir, l’existence d’une fenêtre, réduite certes, mais présente pour les humains.
Alors oui, Alliances ne sera peut être pas le roman le plus réaliste qui soit. On aura peut-être même l’impression que cela part un peu en sucette sur la fin. Mais j’ai envie de vous dire : et pourquoi pas ? Pas littéralement, bien sûr, mais les solutions apportées pourraient être envisageables. La vie serait dure au début mais pas exempte de paix ou de bonheur. C’est en cela que ce roman m’a complètement embarquée, qu’il m’a rassurée, y compris concernant les angoisses climatiques. Concernant le style et l’intrigue, on alterne les moments d’action avec les moments de calme. C’est fluide, cela vous fait ressentir des trucs et surtout, tout doucement, cela vous fait réfléchir.
C’est en ça que l’auteur est génial et Alliances aussi. Vous pouvez ce livre en totale détente dans votre canapé. Parfois, vous serez totalement pris par les enjeux. Parfois, vous passerez des moments de paix avec Ophélie et son Anaconda. Et puis, au coin d’une ligne, vous vous demanderez à quel point le contexte du roman est plausible. Vous vous demanderez aussi si vous êtes prêts à vivre dans ce monde-là. Et vous, que pouvez vous faire ? Lire les rapports sur l’environnement, comme ceux du GIEC par exemple. Les vrais, pas les commentaires des journalistes. Vous pourriez regarder comment agir à votre niveau et montrer un peu l’exemple. Vous pourrez en parler autours de vous, lire d’autres fictions climatiques aussi ou des fictions qui parlent de vivre d’une autre manière