Tristan Madec est l’un des conducteurs de l’éléphant des Machines de l’île de Nantes. Il est aussi recruté, en sa qualité de pêcheur de batraciens, par le professeur Jean Rostand qui étudie les grenouilles polydactyles du Lac de Grand-Lieu. Tristan est miné par la disparition de son jumeau une quinzaine d’années plus tôt sur ce même lac. Il est aussi adepte et consommateur du Batraxil, un comprimé aux effets similaires au LSD issu d’un mélange de glandes de crapauds.
Pablo est un futur marié qui, le soir de l’enterrement de sa vie de célibataire disparaît sur le lac de Grand-Lieu, on ne retrouve pas son corps.
Kalash est un tueur à gages qui supprime un marin ne voulant plus fournir la filière en crapauds bufo bufo, principal ingrédient du Batraxil, il lui semble que Tristan l’a vu tuer ledit marin.
« Attention, âmes sensibles et esprits étroits s’abstenir ! » est-il écrit en quatrième de couverture. Je confirme en précisant que rien n’est dur ou sanglant dans ce fabuleux court roman, « âmes sensibles » vaut surtout pour le sens premier d’âme puisque certaines d’artistes étant venus à Nantes et ayant eu un destin tragique se retrouvent dans les animaux du bestiaire des Machines de l’île -que vous devez absolument visiter, au moins aller sur le site voir les photos. En tant qu’habitué et amateur du lieu comme quasiment tous les Nantais, après ma lecture de ce livre, je ne verrai plus l’éléphant ni les animaux du Carrousel de la même manière, il se peut même que je m’arrête et que je tente d’entrer en communication avec eux !
« Esprits étroits », parce que Stéphane Pajot part dans un délire absolument formidable, basé sur les légendes liées au Lac de Grand-Lieu, notamment celle de la cité engloutie d’Herbauges, sorte de Sodome de la région qui fut noyée car rétive à l’évangélisation de Saint-Martin. Sous la plume de l’auteur elle perdure sous le nom d’Herbadilia, habitée et gouvernée par des grenouilles. Dès lors, il ne reste plus qu’à se laisser porter par la poésie, l’étrangeté de l’histoire et de ses personnages, tant les animaux vivants ou non que les hommes fictifs ou réels (le professeur Jean Rostand a bien existé, il est le fils d’Edmond et de Rosemonde Gérard dont il serait bien étonnant que vous ne connaissiez au moins un poème appris à l’école, et a bien étudié les grenouilles polydactyles* (). Stéphane Pajot mélange tout cela dans un roman joyeux et jouissif. Il y ajoute même une part de polar, une histoire de dictature aux thèses proches de celles des nazis qui affronte aussi une Résistance, une part de fantastique, un récit naturaliste, un hymne à la nature, à la diversité et à la différence et un guide du Lac de Grand-Lieu et de la région nantaise. Et tout cela en seulement 154 pages ! Une fable, un conte qui se déguste lentement pour prolonger le plaisir.
Comme à chaque fois que je ressors d’un livre enthousiaste avec la folle envie de le faire partager au plus grand nombre, je me trouve maladroit et pas totalement en phase avec tout ce que j’ai envie de dire. Sachez que depuis septembre, j’ai lu avec bonheur quelques romans ou BD dans lesquels l’aventure est de retour, l’aventure à la Jules Verne. Celui-ci en fait partie avec une petite partie de folie en plus, un gramme de fantaisie qui m’a ravi. Et comme j’aimerais tellement que vous tous qui passez me lire régulièrement ou pas plongiez immédiatement dans le Lac de Grand-Lieu, je vous laisse avec le meilleur argument possible tiré de la page 123 du livre, celui qui résume le livre et ne peut que faire mouche auprès des plus curieux d’entre vous :
« Il suffit de percer la bulle du quotidien dans laquelle on vit, de balayer de temps à autre les codes, les idées toutes faites. Souvenez-vous des mondes fabuleux de l’enfance, des histoires extraordinaires. »
Stéphane Pajot est journaliste à Presse Océan, écrivain -j’ai déjà chroniqué pas mal de ses livres-, amoureux de sa ville, Nantes. Ce bouquin est né d’un projet autour de la légende d’Herbadilia, lui écrit le roman et avec Philippe Guihéneuf, un scénario pour un film, « un éco-polar fantastique où tout sera permis. » (p.155) Vivement la projection !
* avec des doigts supplémentaires
L’Atalante est une maison d’édition nantaise et une librairie.
Dernière minute : Stéphane Pajot sera en rencontre-dédicace le mardi 14 octobre, à 19h30 à la Librairie Lise&Moi de Vertou. Je passerai le saluer et le remercier de m’avoir fait passer un aussi bon moment.
Yves