Sur la piste des enfants confisqués
Dans Le mur grec, Nicolas Verdan lançait un policier athénien désabusé à la frontière entre la Grèce et la Turquie sur la piste d'une tête coupée, retrouvée en pleine zone militaire interdite, où allait se construire un bouclier anti-immigration. Il y peignait la Grèce en crise de 2010, et explorait cette ligne de démarcation du nord-est, zone grise où se croisent alors migrants, agents de Frontex et prostituées.
Publiée en 2015 par Bernard Campiche puis rééditée l'an dernier dans la collection noire de la maison française L'Atalante; cette première aventure de l'agent Evangelos a connu un joli succès, qui lui a valu une fraîche sortie en poche chez J'ai lu. En parallèle, le policier fait son retour en grand format dans La récolte des enfants.
Toujours à cheval entre ses deux pays d'origine, l'écrivain audois par son père et grec par sa mère déplace cette fois le curseur un peu plus à l'ouest, avec une intrigue qui s'étend de la Suisse à la Grèce via les Balkans. Désormais retraité depuis treize ans, Evangelos doit convoyer de Zurich à Athènes la voiture de sa fille, expatriée en Suisse.
Le voilà donc au volant d'une Tesla, prétexte à souligner le contraste entre la vie aidée en Suisse et une Grèce qui n'en finit pas de sortir de la crise. Au lieu de filer au plus court, l'ex-flic en mal d'aventures s'offre un détour par le talon de la botte, embraquant sur un antique ferry à Brindisi, pour débarquer à Vlora, en Albanie.
[...] À peine arrivé de l'autre côté de l'Adriatique, voilà le héros rappelé en catastrophe à Zurich, où Zoi, sa petite-fille de 15 ans, a disparu, mails il est retardé par les monts Gramos, à la frontière entre l'Albanie et la Grèce, tentant de convaincre une mère de ne pas entraîner son fils dans sa quête du djihad. Ce qui ne l'empêchera pas de se lancer ensuite sur les traces de Zoi, à distance puis de plus en plus près du but.
Toujours les premières victimes
Moins sombre au premier abord que le premier opus, La récolte des enfants tient davantage du road trip à suspence que de l'enquête policière. Mais il s'agit surtout, encore et toujours chez Nicolas Verdan, qui est aussi journaliste, d'évoquer des problèmes sociétaux qui hantent notre monde contemporain. Cette fois, il suit le fil rouge des enfants, en écho à ceux arrachés par le passé aux populations chrétiennes des Balkans par l'empire ottoman.
Appâts en ligne
Et puis il y a ces filles et fils de l'époque actuelle qui se retrouvent pris dans des appâts tendus en ligne, parfois simples victimes d'une mode, parfois séduits par des appels au djihad. Sans compter ces petits forcés de suivre des parents radicalisés. "Dans notre monde globalisé, certaines personnes vivent aujourd'hui dans une tribu mentale avant d'appartenir au lieu où ils habitent. Il est facile de se créer une famille hors sol, de passer des heures sur les réseaux, au risque de se faire embrigader dans quelque chose qui nous dépasse", développe l'auteur.
Evangelos, dont le périple relie toutes les ramifications de cette foisonnante intrigue, cherche lui aussi des réponses "Mon personnage n'est pas islamophobe, il lit le Coran car il aimerait comprendre." En suivant cette figure qui tient du vieux sage levantin, mais qui avance aussi avec ses fantômes - il a notamment servi en Grèce sous la dictature des colonels -, l'auteur construit une histoire tout en nuances, sans détails sordides ni hémoglobine. Un roman noir humaniste à la fois haletant et complexe, qui convoque le passé pour mieux inciter à se pencher sur l'avenir des enfants d'aujourd'hui.
Caroline Rieder