En France, on connaît Nghi Vo, pour son cycle de novellas Les Archives des Collines-Chantantes publiées aux éditions de l’Atalante. Ce n’est pourtant pas aux côtés de Chih qu’elle nous revient cette fois-ci. Loin de son adelphe raconteuse d’histoires, c’est ici celle de Gatsby qu’elle explore.
Si vous êtes familier·es avec Gatsby le Magnifique, vous savez qu’il nous est narré par Nick Carraway, cousin de Daisy, voisin de Gatsby, et messager de leur amour. Nick, Daisy, Gatsby. Voici donc trois protagonistes du roman de Fitzgerald. Mais avec elleux, une quatrième personne, presque inexistante (quoique présente) dans l’œuvre originale : Jordan Baker, meilleure amie de Daisy, conquête de Nick, golfeuse amatrice. Et c’est elle que choisit Nghi Vo comme narratrice de son très beau Les beaux et les élus. La force de cette réécriture se trouve notamment là, dans la capacité qu’a Nghi Vo à donner de la profondeur à un personnage presque invisible. Elle lui apporte un passé, une histoire, faisant de Jordan une enfant trouvée au Tonkin par Eliza Baker, ce qui lui permet d’aborder des thématiques intéressantes : le racisme aux Etats-Unis, la double culture, l’immigration.
Avec Jordan, elle nous propose un point de vue original, à la fois dans et hors de la jeunesse dorée de New York, société du paraître que Jordan décortique habilement, refusant souvent d’en faire partie. Elle nous permet de voir les failles de Daisy avant Gatsby et de creuser toute la complexité de leur relation.
Et puis, évidemment, comment ne pas mentionner la raison pour laquelle cette chronique se trouve sur le site Elbakin.net. En réécrivant Gatsby, Nghi Vo y apporte magie, puissance démoniaque, et créatures de papier. Les nantis de New York ne se droguent plus, iels boivent du démoniaque, sang de démon transformé pour leur plus grand plaisir. Jordan se découvre quelque capacité à créer des créatures de papier en les découpant à partir d’images. Elle croisera sur sa route d’autres personnes, elles aussi issues du Tonkin, possédant cette même aptitude. Celles-ci lui apporteront peut-être un peu de lumière sur son passé. Malheureusement, ce pan de l’intrigue, quoique fort intéressant, se retrouve peu exploité, au profit de l’observation de l’histoire de Daisy et Gatsby.
On manque de réponses quant à la magie, ce qui pourrait déplaire à certain·es lecteur·ices, mais ne m’a pourtant pas empêché d’apprécier ce roman jusqu’au bout. Se plaçant comme l’alter ego de Nick dans l’œuvre originale, Jordan reste spectatrice et indécise quant aux réponses qu’elle souhaite obtenir de ses semblables, et cela semble cohérent.
Autre point fort de ce roman : les pages défilent sans qu’on les sente, tant l’écriture de Nghi Vo est fluide et envoûtante. Plongé·es dans cette ambiance, on ne peut qu’avoir envie de (re)lire Gatsby.
Docka