Place aux années folles dans Les Beaux et les Élus qui donnent à sa signature un parfum capiteux inédit.
Les Beaux et les Élus est une réécriture très onirique du mythique roman de Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le Magnifique. Pour bâtir son univers, Nghi Vo emprunte ce New York enfiévré né sous la plume de Francis Scott Fitzgerald où quartiers fictifs et réels se côtoient. Ainsi, les villes de West et East Egg situées dans l'Etat de New York, sans oublier les fameux speakeasies renaissent de leurs cendres pour nous emporter dans un tourbillon festif où la bonne société aime s'enivrer et s'encanailler. Mais pour parfaire sa réappropriation, l'autrice y a ajouté sa touche personnelle afin de rendre les lieux diaboliquement fascinants.
On ne s'étonne donc pas d'y trouver un train reliant Manhattan aux enfers, d'être invité à boire de la liqueur démoniaque ou de pouvoir monnayer son âme en échange de richesses infinies. La décadence et la démesure de l'époque se prêtent à toutes les interprétations.
La magie qui enflamme ces pages donne littéralement vie à des silhouettes de papier offrant ainsi des doubles aux protagonistes de cette histoire leur permettant de rejouer leurs scènes à volonté.
L'immortalité transcende donc ce texte aussi bien sur le fond que sur la forme. Déjà l'œuvre est intemporelle, notamment à travers ses personnages qui peuvent rejouer leur partition à l'infini maintenant que le roman est tombé dans le domaine public. Ensuite, cette notion d'éternité est complètement intrinsèque à ce récit avec ce personnage majeur qui a échangé son âme contre la jeunesse, le succès et la fortune. En tout cas, c'est ainsi que l'autrice explique la gloire fulgurante de Jay Gatsby. Un choix des plus habiles car après tout n'est-ce pas frayer avec des forces maléfiques que de commercer avec l'illégalité. Au regard de la moralité de l'époque et notamment des lois de prohibition, l'exégèse paraît adéquate.
Dans Les Beaux et les Élus, Nghi Vo revisite ce grand classique de la littérature en changeant de point de vue. En effet, ici ce n'est plus Nick Carraway le narrateur mais Jordan Baker, l'amie de Daisy. Résolument féminin, ce point de vue donne de nouvelles perspectives à ce récit car ce on n'est plus enfermé dans une admiration étouffante de la figure de Jay Gatsby. Jordan, elle, garde un certain contrôle sur les évènements et ses réactions. Elle ne se laisse pas submerger par ses émotions même si elle reconnaît bien volontiers le pouvoir d'attraction de Gatsby. À travers Les Beaux et les Élus, Nghi Vo cherche à moderniser l'œuvre de F.S. Fitzgerald en donnant la primeur à un personnage féminin racisé attaché à sa liberté et à son indépendance.
En outre, au-delà de nous parler de l'incontournable lutte des classes, à travers ce désir des couches populaires de se hisser dans les rangs supérieurs et ce mépris des castes aisées vis-à-vis de ceux qu'ils estiment inférieurs, Nghi Vo s'est surtout attachée à mettre en lumière l'amour pluriel.
En effet, dans son livre, il n'y a pas qu'une seule manière d'aimer. Ce sentiment se pare donc de nombreuses couleurs. Etourdissant, tempéré ou toxique, l'autrice explore les nombreux sentiments qui habitent l'âme humaine et exalte ce texte jusqu'à son paroxysme tragique. Bisexualité et homosexualité sont au cœur de ces fêtes où il est bon de paraître. L'autrice nous livre donc une version bien actualisée de cette fable et libérée de toute inhibition.
En sus de cette histoire de mœurs, Nghi Vo met en exergue la quête d'identité de ce personnage secondaire qui ne souhaite plus simplement se fondre dans le décor mais cherche à prendre le contrôle sur son destin en comprenant ses origines. Séduisante et discrète, Nghi Vo donne à Jordan Baker un certain magnétisme. Ainsi, si tous cherchent à complaire à Jay Gatsby, lui, désire par-dessus tout s'attirer les bonnes grâces de Jordan pour atteindre son but auprès de Daisy. Elle est l'observatrice idéale de ces nantis qui voient en elle une simple confidente. Il est vrai qu'elle partage leur monde sans complètement en faire partie. Par son adoption, elle n'est qu'une pièce rapportée. Electron libre toléré par respect pour son nom de famille, elle endosse au fil des pages bien des identités jusqu'à trouver la bonne combinaison. Charismatique, elle est l'atout de Nghi Vo pour faire revivre les fantômes de cette folle époque de l'entre-deux-guerres.
Pour conclure :
Roman iconique, Gatsby le Magnifique renaît tel un phénix sous la plume ensorcelante d'une poétesse d'aujourd'hui. Bien mal celui qui croyait connaître la chanson car Nghi Vo nous en propose une variante pleine d'audace qui ne manquera pas de vous conquérir, vous verrez !