L’adelphe Chih, de l’abbaye des Collines-Chantantes, arrive à la maison qui borde le lac Écarlate. Il est accompagné de sa neixin Presque-Brillante (un petit animal malicieux, doté de la parole et d’une mémoire absolue). La demeure était jusqu’alors interdite à toute visite. Elle en profite pour admirer le spectacle magique des eaux rouges.
La maison a autrefois accueilli l’Impératrice In-Yo, contrainte à l’exil. Lapin, une jeune servante vendue au palais par ses parents, a connu cette impératrice, épousée pour une alliance politique, moquée à cause de ses différences. Dès qu’elle donne naissance à un héritier, elle est humiliée et envoyée vivre dans l’isolement dans un coin perdu du royaume. Sur les bords de ce lac aux eaux écarlates va s’écrire l’histoire, que Lapin, une vieille femme au crépuscule de sa vie, raconte aujourd’hui.
L’adelphe, sitôt installée dans la maison, commence l’inventaire des objets qu’elle contient et interroge l’ancienne servante sur eux. À travers ses paroles, Chih va peu à peu découvrir ce qui s’est réellement passé dans le royaume.
L’intelligence de la narration est remarquable : plutôt qu’un récit linéaire, l’autrice propose des bouts d’existence, des anecdotes, des réminiscences épars qui, assemblés, forment la trame d’une histoire étrange et belle. Les épisodes de la vie de l’impératrice se dévoilent peu à peu, car chaque objet révèle des souvenirs de l’aînée, qui éclairent la grande Histoire d’un nouveau jour. Nghi Vo ne nous explique pas le contexte, ni l’époque, ni les personnages, pourtant une image finit par apparaître. À la manière de contes évoqués au coin du feu, on se laisse embarquer dans une véritable épopée, racontée depuis les coulisses.
La vie de l’Impératrice est jalonnée de tristesse, de douleur, de trahisons, corsetée par le devoir. Pourtant, la tonalité du roman n’est pas si sombre, éclairée par une poésie subtile. Les mots dessinent des souvenirs, parfois tendres, souvent violents, dans un style très épuré et très brutal à la fois, dans ce qu’il suggère plus qu’il ne montre.
L’intrigue politique est au cœur du récit, où s’affirment aussi des valeurs de sororité. Nous achevons cette longue novella avec une seule envie : lire la suite !
Sylvie Gagnère