L'Impératrice du Sel et de la Fortune - Le Fictionaute
Article Original
L’adelphe Chich, de l’abbaye des Collines-Chantantes, accompagné de Presque-Brillante, sa fidèle oiselle se rend dans l’ancien palais de l’Impératrice du Sel et la Fortune, endroit demeuré interdit à toute visite. Alors qu’elle se croyait seule, elle y découvre une ancienne et fidèle servante, surnommée Lapin, qui fut au service de l’Impératrice In-Yo. Au travers de la découverte d’anciens objets du quotidien qui firent les jours sombres de cette dernière, la servante déroule les affres de celle-ci, épouse moquée par la cour en raison de ses origines et délaissée par un mari qui ne voyait en elle que les promesses d’une mère et non point celle d’une épouse. Elle se condamne dès lors à mener une vie de recluse au sein de cette demeure sise au bord du lac Écarlate. Et le lecteur de découvrir les petits moments de bonheur et les nombreuses frustrations que peuvent offrir les alcôves du pouvoir et leurs terribles secrets…
Non content de nous avoir fait découvrir les auteurs P. Djèli Clark, Christiane Vadnais ou encore Becky Chambers, les éditions L’Atalante poursuivent avec bonheur la mise à disposition sous nos latitudes de nouveaux talents. Et force est de constater que Nghi Vo figure bel et bien parmi ces derniers. C’est en effet avec une rare subtilité que l’auteure nous dévoile peu à peu les enjeux d’une intrigue, qui, si elle ne semble pas a priori offrir moult péripéties, n’en demeure pas moins pour autant des plus séduisantes. Décomposé en cours chapitres — lesquels font parfois l’économie de liens entre eux —, le récit dévoile par petites touches successives toutes les mesquineries, les mensonges, les non-dits et les violences auxquelles doit se confronter l’impératrice, prisonnière d’une cour au pouvoir de nuisances jamais démenti. Et c’est par le regard des objets peuplant cette demeure que Lapin nous délivre son récit, sous le regard étonné et bienveillant de l’adelphe. Premier volume du cycle Les Archives des Collines-Chantantes, lequel en compte pour alors quatre, L’Impératrice du Sel et de la Fortune offre une composition savamment orchestrée au bénéfice d’une intrigue dont la conclusion ne saurait laisser indifférent. Cette finesse d’écriture, remarquablement traduite par Mikael Cabon, tout comme le contexte narratif ne sont pas sans rappeler ceux d’un certain Guy Gavriel Kay pour son diptyque Le Fleuve céleste et Les Chevaux célestes. Avec le cycle Le Journal d’un AssaSynth, celui entamé par Nghi Vo conforte l’idée que le roman court jouit à nouveau d’une certaine aura, bien éloigné de certains cycles dont la pagination effrénée peut parfois provoquer quelque ballonnement. Une belle leçon d’écriture, où la poésie le dispute au devoir de mémoire.
Publié le 15 mars 2023