L’impératrice du Sel et de la Fortune est le premier tome des Archives des Collines-Chantantes par Nghi Vo
L’Atalante continue de nous régaler avec de jolies éditions reliées, et en Janvier dernier l’éditeur nous a proposé la découverte de L’impératrice du Sel et de la Fortune de Nghi Vo, dans une superbe édition. Vous me connaissez, matérialiste je suis, j’ai sauté dessus.
Chih est adelphe de l’abbaye des Collines-Chantantes, toujours en quête de savoir iel part à la découverte d’une demeure en bordure du lac Écarlate où a résidé l’impératrice In-Yo. Pensant trouver un palais vide, iel y rencontre Lapin, une vieille femme qui va lui raconter le séjour de l’ancienne impératrice à travers des détails et des anecdotes, mais l’adelphe y trouvera peut-être de grands secrets.
J’ai dévoré cette novella de 120 pages en une seule fois (on dit merci à Mini-Ourse qui a dormi jusqu’à 8h45 ce jour-là). Nghi Vo pose son univers avec beaucoup de subtilité, on rencontre donc l’adelphe Chih qui va découvrir le destin de l’impératrice exilée avec nous, chaque chapitre se concentre sur un objet pour en découvrir l’histoire par l’intermédiaire de Lapin. Il y a un aspect assez ludique à reconstituer l’énigme de ce passé caché, avec patience et observation. Chih détaille, apprend, et pose des questions, et petit à petit les détails deviennent des indices, les anecdotes deviennent des secrets, et la vie d’une impératrice déchue devient une fresque incroyable.
Cette histoire nous parle des femmes, de leur invisibilisation et de leur pouvoir, de leurs luttes silencieuses et de leur savoir caché. Jusqu’à ce que ça ne le soit plus. Silencieuses et caché, je veux dire. Tout ça se déroule dans une atmosphère calme et poétique, des discussions tranquilles qui contrastent parfois avec la situation qu’on devine derrière ce puzzle dont on découvre les pièces au fur et à mesure. Cette histoire secrète se révèle et enchante, et je découvrirai la suite des Archives des Collines-Chantantes avec plaisir au mois de Mai, quand sortira Quand la tigresse descendit de la montagne, un titre plein de promesses.
Le traducteur a choisi d’alterner féminin et masculin selon les chapitres, pour refléter le neutre utilisé par la VO. Je ne connais pas la solution idéale ni l’étendue des difficultés que peut rencontrer un traducteur ou une traductrice en voulant retranscrire un protagoniste non genré (voyez, rien que dans cette phrase y’a des problèmes de genre) dans une langue aussi genrée que la nôtre, je n’oserais par faire la leçon à Mikael Cabon. Mais je peux juste donner mon ressenti de lecteur face au procédé choisi ici : ça donne un résultat un peu confus quand on s’y attend pas. J’ai mis du temps à comprendre que le texte changeait de genre volontairement, j’ai fait quelques aller-retours entre les chapitres avant de percuter, avec quand même un peu de perplexité. J’ai compris le sens d’un passage du début du bouquin que plus tard, le moment où Lapin déclare « Oh, I see I was mistaken. Not a girl at all, but a cleric. », en VF ça donne « Oh, je vois que je me suis trompée. Ce n’est pas une robe de fille que tu portes là, mais d’adelphe. » ce qui change un peu l’intention et j’ai l’impression d’être passé à côté de quelque-chose de fort à ce moment-là.
Pourtant ce détail n’a pas du tout diminué mon plaisir de lecture, car j’ai adoré L’impératrice du Sel et de la Fortune. C’est beau, c’est doux, c’est fort, c’est court, c’est une petite énigme dans une atmosphère magique, un moment de calme où on regarde de loin une violence cachée dans le passé.