Honnêtement, j’ai commandé ce livre « juste » pour sa magnifique couverture et son titre évocateur. Je savais qu’il s’agissait d’un univers asiatique, que la lecture serait douce, poétique, sans doute intimiste et ponctué de réalisme magique. J’ai craqué pour l’édition collector, couverture rigide, signet en tissu, et titre à la typographie graphique réhaussée d’une dorure rosée.
J’en ressors bercée par un incroyable voyage !
L’on voit cette novella fleurir partout sur Instagram, souvent mentionnée comme coup de cœur des lecteurices. Sa jolie illustration de couverture, douce, poétique et représentant des animaux attire tout le monde, quand son titre évocateur de voyage et de réalisme magique finit de convaincre. Il s’agit bien entendu de L’impératrice du Sel et de la Fortune, premier tome récompensé du Prix Hugo 2021 de la saga Les archives des Collines-Chantantes, de l’autrice américaine Nghi Vo. Ce joli texte, doux, intime et poétique mérite bien son succès !
L’impératrice du Sel et de la Fortune est donc une novella, la version collector comptant 120 pages + les remerciements. En si peu de pages, l’autrice découpe son récit en de courts chapitres, véritables tranches de vie qui font état du passé, à travers la vie quotidienne et la mémoire des objets. Alors que la nouvelle impératrice va participer à la première cérémonie du dragon, l’adelphe Chih, archiviste aux Collines-Chantante, accompagné.e de la huppe Presque-Brillante, une neixin (elle est un oiseau dotée de la parole et pourvue d'une mémoire infaillible qu’elle transmet à ses oisillons et ainsi de suite) prennent la direction du Lac écarlate, pour se rendre dans la demeure d’exil de la précédente impératrice du Sel et de la Fortune, Prospère-Fortune. Sur place, iels rencontrent Lapin, une domestique de feu l’impératrice. Chih est venu.e chercher un récit, les années manquantes aux archives retraçant la vie de l’impératrice In-Yo.
Les jours prennent une saveur d’éternité tandis qu’à travers les objets du quotidien de In-Yo, Lapin transmet la mémoire de cette femme qui, depuis Prospère-Fortune, exilée au bord du Lac écarlate, manigança des intrigues politiques sous le nez du ministre et du roulement des servantes chargés de la surveiller.
L’écriture de Nghi Vo crée un univers doux, intimiste, poétique, mais aussi cruel, marqué par le deuil, la tristesse. Entre les lignes, la souffrance imposée aux femmes, les intrigues de cour, les enjeux géopolitiques, au lieu de trancher avec le récit, s’intègrent dans la douceur de celui-ci. In-Yo et Lapin sont toutes deux très différentes, et pourtant, elles ont tissé un lien spécial, un lien qui tissera à son tour le destin de l’impératrice comme de l’empire. Lapin transmet sa mémoire à Chih et à Presque-Brillante, objet après objet, comme les pièces d’un puzzle qui s’imbriquent.
Sur place, Chih dresse la liste des objets : des robes, des boîtes à épices, des cartes du ciel… Iel apprend les différentes facettes de In-Yo, l’impératrice d’un empire de l’hiver avec des mammouths, venue dans l’empire d’Anh, des lions. Exilée par l’empereur à peine lui eut-elle donné un fils, elle est surveillée pour contrer toute tentative de trahison. Lapin, qui est entrée très jeune à son service, dès son arrivée au palais, demeurera à ses côtés. Ensemble, elles affronteront l’exil, le deuil, la vie quotidienne… et mettront en place le retournement politique de l’empire.
In-Yo était une étrangère considérée barbare lors de son arrivée, bientôt femme exilée, comme tant d’autres, elle arrivera sur le trône, sous le nom de l’impératrice du Sel et de la Fortune. C’est justement le récit de son exil que viennent chercher Chih et Presque-Brillante. Plus que de transmettre ses mémoires, Lapin incarne un personnage central de ce récit.
Tout en subtilité, le texte est un tableau vivant qui prend vie sous nos yeux, touche par touche. De manière sensorielle, l’autrice nous offre des paysages touchés par le réalisme magique, tout en poésie, comme l’histoire d’une épouse décédée s’étant métamorphosée en martin-pêcheur. Ici, les fantômes ne sont pas craints, l’on craint plutôt d’en devenir un. La nature se montre magique. Alors qu’elle est exilée sur une terre à l’été éternel, l’impératrice du Sel et de la Fortune attend/intrigue pour que vienne la neige, la neige de sa contrée d’origine, la neige qui amène les mammouths.
Cette novella se savoure comme l’on hume le fumet d’un thé délicat, comme l’on admire une œuvre impressionniste de Claude Monet, touche par touche. Les couleurs, douces comme tranchantes, se lient sur un même plan, offrant un ensemble poétique et intimiste, des tranches de vies dont on transmet la mémoire avec bienveillance et mélancolie. Nghi Vo nous livre une écriture fine tout en subtilité et profondeur. Réalisme magique, féminisme, personnages lgbtqia, mémoire des objets du quotidien, conte fantastique, mythologie asiatique… Ce premier opus des Archives des Collines-Chantantes se respire comme l’air printanier qui succède à l’hiver.