Dans cette seconde novella, nous retrouvons l’adelphe Chih, toujours à l’écoute des récits qui courent depuis la nuit des temps… Mais cette aventure ne sera pas aussi tranquille que la précédente où, savourant de délicieux plats dans une superbe maison, elle se contentait d’écouter pour les apprendre les mots d’une autre. Cette fois-ci, Chih, sans son oiseau-mémoire qui nidifie, doit tenter de franchir une montagne. Et c’est à dos de mammouth qu’elle le fait, accompagnée par Si-yu, éleveuse et gardienne de ces majestueux animaux.
Toutefois, le voyage se fait très périlleux lorsque trois tigresses les acculent, bien déterminées à les dévorer. La nuit sera fort longue…
Chih leur propose alors de leur narrer un conte, qui, peut-être, les fera changer d’avis, celui d’une tigresse plus belle et plus puissante que toutes les autres, qui tomba amoureuse d’une humaine. Il raconte la version qu’il connaît, mais se trouve bien vite amené à l’adapter et le modifier, au gré des interventions des tigresses. Car une histoire n’est qu’une histoire, dont chaque époque, chaque culture, chaque peuple a une transcription quelque peu différente. Loin de se dérouler comme une rivière tranquille, l’histoire s’arrête, se heurte, se mêle et se démêle au fil des diverses voix.
Les mots sont ici d’une importance vitale, ils sauvent la vie de Chih, sont plus importants pour les tigresses que la faim, tant ils sont porteurs d’émerveillements et de découvertes. On pense bien sûr à Shéhérazade, mais Nghi Vo propose un récit cruel et beau, qui va au-delà de la simple force des paroles. Elle interroge également la notion de vérité, d’exactitudes des faits selon l’intérêt de celui qui archive et qui retrace, et qui évolue au fil du temps.
Malgré la situation d’extrême danger où se trouve Chih, la lecture de cette novella est calme et tranquille. Nghi Vo ne joue pas sur l’impression de risque, elle raconte une histoire, un duel d’histoires. Grâce à une narration très maîtrisée, qui alterne dialogues entre les Tigresses et Chih, et extraits de contes, c’est apaisant, poétique et enchanteur. La force de l’écriture de l’autrice réside dans sa capacité à faire naître des images, à accrocher son lecteur sans effets de manche, par la douceur et la poésie.
Baigné dans l’imaginaire asiatique, où esprits, démons et revenants sont très présents, où les créatures fantastiques font partie du quotidien, Quand la Tigresse descendit de la montagne dresse le portrait d’héroïnes indépendantes, à la volonté de fer, qui se libèrent du poids de la tradition pour vivre pleinement leurs passions.
Si le premier volume était tout en douceur et en tranquillité, cette histoire-ci est plus violente, mais tout aussi tendre et poétique. Nghi Vo nous entraîne dans son univers en quelques lignes, et ne nous lâche plus.
Sylvie Gagnère