Avec un deuxième tome tout aussi bon que le premier et qui étend l’univers des Archives, la poésie de Nghi Vo émerveille par sa facilité à déconstruire et à s’échapper des codes et des genres.

Quand la tigresse descendit de la montagne - Les mille mondes
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Nous revoilà en compagnie de l’adelphe Chih, mais sans Presque-Brillante qui est restée à l’Abbaye des Collines-Chantantes pour couver son petit. Le véritable succès de son premier tome, a convaincu Nghi Vo de poursuivre les aventures de Chih avec un second roman tout aussi bon ! Chaque livre propose une histoire différente, avec toutefois des liens entre les différentes pérégrinations. Sorti en 2023, le roman n’a pas perdu son charme et se laisse lire avec bonheur. Avec toujours plus de références à la culture vietnamienne, cette saga est une véritable bouffée d’air frais !

Les tigres adorent les bonnes histoires

Des tigresses métamorphes amatrices de poésie, des mammouths de guerre aussi impressionnants que placides, une jeune lettrée tiraillée entre son cœur et sa raison, des fantômes, goules et esprits-renards à l’affût, des péripéties baroques et des amours libres… Cette aventure de l’adelphe Chih, nous offre un étonnant voyage, inspiré tant par les contes et la poésie de l’Asie du Sud-Est que par les combats sociaux qui l’animent. Aucun carcan ici, aucune frontière, seul importe le récit, porté la une plume légère de l’autrice et l’originalité folle avec laquelle elle image son texte.

Deux versions d’un conte

Aidé par Si-yu et Ha-jun, Chih voudrait bien passer le col de Kihir mais elle fait une rencontre malencontreuse avec trois sœurs tigres, Ho Sinh Loan, Sinh Hoa et Sinh Cam. Heureusement, les talents de conteuse et d’archiviste de Chih pourraient bien la sauver du trépas, ou du repas ! Car les tigresses entendent bien écouter leur version du conte des deux amantes, Dieu et Ho Thi Thao.

Les mammouths et la matrilinéarité

Dans le monde des "Archives des Collines-Chantantes", les mammouths sont tels les dragons de l’univers du "Trône de Fer" : une arme de destruction massive, capable de renverser des empires, mais aussi leurs cavalières. Cinquante ans avant le récit, le royaume d’Anh a été écrasé par leur charge victorieuse : « C’étaient les mammouths royaux, plus gros de moitié (des mammouths ordinaires) et d’une profonde couleur de rouille, qui l’avaient emporté sur les soldats de l’empire d’Anh. » Cités dans le premier roman, mais sans qu’ils fassent partie du récit, ce deuxième tome nous offre la possibilité d’en savoir plus sur l’un d’entre eux, Piluk, le « bébé » de Si-yu, qui « descend de la grande Ho-shuh en ligne sororale directe ». La matrilinéarité désigne le fait que le nom et la filiation sont rattachés à la mère. Bien que matriarcat et matrilinéarité sont à différencier, cela rappelle bien évidemment le matriarcat des sociétés d’éléphants.

Des échos historiques

Au fil des pages, Nghi Vo insère des références et des échos à l’histoire de la Chine et du Việt Nam, deux pays liés par des influences réciproques, et ce depuis la civilisation dongsonnienne et le royaume du Nam Viêt (Nanyue), qui s’étendait à la fois sur des provinces chinoises actuelles et le nord du Việt Nam. Je vous invite ici à consulter l’intéressante vidéo d’interviews croisées entre Nghi Vo et Shelley Parker-Chan où les deux autrices discutent de leurs inspirations, de leurs vies et leurs identités asiatiques.

Avec un deuxième tome tout aussi bon que le premier et qui étend l’univers des Archives, la poésie de Nghi Vo émerveille par sa facilité à déconstruire et à s’échapper des codes et des genres. Merci aux équipes de l’Atalante et au traducteur Mikael Cabon d’avoir fait le choix audacieux de traduire les belles œuvres de Nghi Vo !

Publié le 21 novembre 2024

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